Page 5 - Prologue
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— Allons, nous savons toutes les deux que tu ne trouveras sans
doute pas meilleur parti.
— Mais je ne suis pas amoureuse !
Sa mère s’approcha alors et prit ses mains dans les siennes.
— Je souhaite avant tout ton bonheur ma chérie, mais le coup de
foudre n’existe pas. Du moins pas dans notre milieu. Je suis certaine
que tu finiras par éprouver une véritable inclination pour cet
homme avec le temps.
Les paroles de sa mère lui paraissaient évidemment très
sensées, mais Eleanor ne pouvait s’empêcher d’en vouloir bien plus.
Était-ce trop demander que de ressentir un minimum de passion
pour celui avec qui elle allait passer le reste de sa vie ? Néanmoins,
elle se résigna à répondre.
— Je vais y réfléchir.
Sa mère lui sourit.
— Je ne t’en demande pas plus.
Elles s’installèrent et ouvrirent les lettres qui leur étaient
adressées tout en finissant leur petit-déjeuner. Quelle ne fut pas
leur surprise de voir apparaître le duc à une heure où il était encore
couché habituellement. Il avait une mine de papier mâché, de larges
cernes violets en dessous de ses yeux gris, et un air abattu qui ne lui
ressemblait pas. Il embrassa distraitement la joue de sa femme puis
celle de sa fille. Un domestique vint immédiatement servir le thé à
son maître et lui apporta le journal, délaissé par sa femme.
— Vous voilà déjà debout Francis ? s’étonna la duchesse. Vous ne
nous avez pas habituées à ce réveil si matinal. Êtes-vous souffrant,
mon cher ?
Elle posa une main inquiète sur celle de son mari et l’examina
avec attention. Eleanor sentait que quelque chose n’allait pas, mais
préféra rester en retrait. Elle aimait beaucoup son père et il le lui
rendait au centuple, mais plus les années passaient et plus le héros
inébranlable de son enfance devenait un homme ordinaire, parfois
manipulé par sa passion du jeu.
Le duc se gratta la gorge et releva le menton pour croiser le
regard de sa femme.
— Je vais très bien, je vous remercie de vous en inquiéter. J’ai… j’ai
une grande nouvelle à vous annoncer.