Page 112 - ANGOISSE
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L’homme s’exécuta durant un temps incroyablement long, ne serait-ce que
pour savourer le plaisir de voir tous ces visages tournés dans sa direction. Le
chef prit la seringue délicatement du bout des doigts comme s’il s’était agi d’un
objet risquant à tout instant d’exploser.
- Mes amis, éleva-t-il la voix afin que tout le monde puisse l’entendre, nous
avons désormais la preuve irréfutable qu’il y avait bien parmi nous un
immonde salopard. Un assassin, un criminel sans scrupule qui a contaminé la
viande, fruit de notre travail, pour atteindre nos femmes et nos enfants.
Combien d’innocentes victimes sont décédées du fait de ce pervers ? Des
dizaines, des centaines peut-être. Pourriez-vous supporter de le voir en prison
tandis que les nôtres seront ensevelis sous la terre de nos ancêtres ?
- Non !! Fut le cri unanime lâché par la meute en colère.
- Alors nous devons rendre la justice nous-même.
Le responsable de l’atelier voulut intervenir pour expliquer la présence de
cette seringue en comprenant de quel vestiaire elle provenait mais c’était
peine perdue. Dans l’état d’excitation extrême où se trouvait le groupe, ce
serait bientôt lui qui serait lynché. Il préféra se taire.
Le chef referma la porte métallique du vestiaire et lut l’identité de son
utilisateur figurant sur une étiquette.
- Je me doutais bien que ce ne pouvait être le fait que de cet enfoiré d’Ahmed !
Il n’avait pas besoin de préciser le nom. Tous connaissaient Ahmed qui
faisait partie de l’entreprise depuis plus de vingt ans. Et tous, à un degré ou un
autre, avaient ironisé un jour sur le fait qu’un musulman convaincu comme il
l’était, puisse travailler dans un abattoir de porcs.
- Quelqu’un sait où il se trouve ?
- Oui, répondit une femme. Il fait partie de l’équipe qui commence à midi.
- Eh bien, il ne nous reste plus longtemps à patienter.
L’attente fut de courte durée dans la mesure où l’homme, objet la
cristallisation de toutes les haines, se présenta devant le portail de l’entreprise
cinq minutes avant douze heures. Le responsable de l’atelier avait espéré que
durant l’attente les tensions allaient s’atténuer mais il n’en fut rien. Bien au
contraire, chacun d’une nouvelle phrase assassine entretint le brasier si bien
qu’il était à son paroxysme lorsque Ahmed pénétra dans les vestiaires. Il n’eut
pas le temps de poser la moindre question quant à la présence inattendue de
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