Page 186 - ANGOISSE
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comprenne, sans le voir, ce qui venait de se dérouler. Il vit un homme s’enfuir
        en courant sur le trottoir de la plus belle avenue du monde. Impuissant.
           La foule aux alentours se scinda en deux groupes. Ceux pris de panique qui
        couraient  maintenant  dans  tous  les  sens  sans  autre  véritable  but  que  de
        s’enfuir de l’endroit où avaient retenti les détonations. Et les quelques autres,
        curieux parmi les curieux, ayant bien compris qu’il n’y avait vraisemblablement
        plus aucun danger, s’approchant pour assister à ce « spectacle » improvisé. Ce
        groupe de passants fut très rapidement rejoint par la plupart des journalistes
        qui se trouvaient dans le hall ou à l’intérieur de l’hôtel, surpris de cette aubaine
        qui leur tombait du ciel.
           Le ministre de l’intérieur dut se frayer un chemin, en usant de ses bras et
        de ses poings, au milieu du groupe afin de s’approcher de son ami. Comme il
        l’avait redouté, celui-ci venait bel et bien de décéder. Il gisait inanimé sur le sol
        dans  une mare  de  sang.  Etreint  par  ses  émotions  le  ministre  de  l’intérieur
        s’agenouilla sur le sol et posa sa main délicatement, presque tendrement, sur
        le front de son ami. Tout en fermant les yeux il lui adressa une courte prière
        laïque en faisant le vœu que quelque soit l’endroit où son âme se trouvait à
        cet  instant,  il  lui  souhaitait  de  désormais  reposer en  paix.  Dans  un monde
        dénué de haine et de violence. Avant de se relever il retira sa veste et la posa
        de manière à masquer le visage de celui qui lui manquait déjà tellement par
        son  amitié  et  ses  nombreux  conseils.  Il  ne  voulait  pas  que  la  meute  des
        photographes et cameramen s’emparent de cette dernière image à laquelle
        son existence tout entière risquait d’être associée. Il souhaitait au-delà de tout
        que les images qui le représenteraient dans les journaux soient celles d’un
        homme souriant, épris de liberté et de justice. Un combattant de la république
        pour laquelle il était tombé parmi tant d’autres. Un très court instant il éprouva
        l’envie de tout laisser tomber, partir, fuir mais une petite voix intérieure lui
        rappela  que  quelques  minutes  plus  tôt  son  ami  l’avait  évoqué  comme  son
        relayeur. Celui qui prendrait la suite. Il avait accepté ce rôle et désormais plus
        que jamais il comptait le tenir.
           Lorsqu’il se redressa deux gardiens de la paix étaient arrivés sur place. Il
        s’adressa aussitôt à eux.
        - Je présume que vous savez qui je suis ?
        - Oui, Monsieur le ministre.

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