Page 189 - ANGOISSE
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France – 16 Juin – 12h48
C’est un mot faible de dire que les français furent frappés de stupeur en
apprenant de la bouche même du ministre de l’intérieur ce qui s’était
réellement déroulé depuis trois jours. En moins de soixante douze heures, la
nation était passée d’un état policé, soucieux de préserver les droits de
l’homme hérités si chèrement de leurs ancêtres à un état de non-droit dans
lequel toutes les folies les plus absolues pouvaient se donner libre cours. D’un
peuple jusqu’alors uni par les mêmes idéaux, celui-ci était devenu, comme
sous l’effet d’une baguette maléfique, une masse d’individualités retranchées
dans un égoïsme forcené pour défendre ses propres intérêts. Le vernis de la
civilisation venait de craquer, abandonnant le faible pour promouvoir le fort
dans une compétition proche de l’état de nature si cher aux philosophes
d’avant la révolution.
Ce sentiment éprouvé par des millions de français provoqua l’effet
escompté par le ministre. Celui du nécessaire sursaut après une période
d’abattement et de renoncement. Tout était loin d’être parfait au sein de la
société dans laquelle ils avaient vécu jusqu’à présent mais pour autant tout ne
devait pas être remis systématiquement en cause. On ne devait pas suivant
l’expression très imagée d’un journaliste à la radio « jeter le bébé avec l’eau
du bain ». Surtout, il était essentiel de ne pas sombrer dans le chaos et
l’horreur dans laquelle s’était vautrée l’Allemagne nazie. De sinistre mémoire.
Spontanément, sans concertation, l’électrochoc dans les consciences fit
sortir la population dans les rues. Sans distinction d’origine, de religion ou de
statut social. Toutes les agglomérations des plus grandes jusqu’aux plus
petites, y compris de nombreux villages s’emplirent d’une foule considérable
jusqu’alors jamais atteinte, même au moment de la libération. Il n’y avait
aucune affiche, aucune banderole mais le slogan scandé avec force était
partout le même. Celui même gravé au fronton de chaque mairie. Liberté,
égalité, fraternité. L’élan fut pratiquement unanime dans une solidarité, une
communion, retrouvées après avoir eu le sentiment de les avoir perdues. Les
choses n’avaient jamais autant de prix que lorsqu’on se rendait compte lors de
leur perte à quel point celles-ci nous étaient si précieuses.
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