Page 180 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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LIVRE SIXIÈME

                                               Javert



                                                     I
                                    Commencement du repos



                     M. Madeleine fit transporter la Fantine à cette infirmerie qu’il avait dans
                  sa propre maison. Il la confia aux sœurs qui la mirent au lit. Une fièvre
                  ardente était survenue. Elle passa une partie de la nuit à délirer et à parler
                  haut. Cependant elle finit par s’endormir.
                     Le lendemain vers midi Fantine se réveilla, elle entendit une respiration
                  tout près de son lit, elle écarta son rideau, et vit M. Madeleine debout qui
                  regardait quelque chose au-dessus de sa tête. Ce regard était plein de pitié
                  et d’angoisse et suppliait. Elle en suivit la direction et vit qu’il s’adressait
                  à un crucifix cloué au mur.
                     M.  Madeleine  était  désormais  transfiguré  aux  yeux  de  Fantine.  Il  lui
                  paraissait enveloppé de lumière. Il était absorbé dans une sorte de prière.
                  Elle  le  considéra  longtemps  sans  oser  l’interrompre.  Enfin  elle  lui  dit
                  timidement :
                     – Que faites-vous donc là ?
                     M. Madeleine était à cette place depuis une heure. Il attendait que Fantine
                  se réveillât. Il lui prit la main, lui tâta le pouls, et répondit :
                     – Comment êtes-vous ?
                     – Bien, j’ai dormi, dit-elle, je crois que je vais mieux. Ce ne sera rien.
                     Lui reprit, répondant à la question qu’elle lui avait adressée d’abord,
                  comme s’il ne faisait que de l’entendre :
                     – Je priais le martyr qui est là-haut.
                     Et il ajouta dans sa pensée : – Pour la martyre qui est ici-bas.
                     M. Madeleine avait passé la nuit et la matinée à s’informer. Il savait
                  tout maintenant. Il connaissait dans tous ses poignants détails l’histoire de
                  Fantine. Il continua :
                     – Vous avez bien souffert, pauvre mère. Oh ! ne vous plaignez pas, vous
                  avez à présent la dot des élus. C’est de cette façon que les hommes font des
                  anges. Ce n’est point leur faute ; ils ne savent pas s’y prendre autrement.
                  Voyez-vous, cet enfer dont vous sortez est la première forme du ciel. Il fallait
                  commencer par là.
                     Il  soupira  profondément.  Elle  cependant  lui  souriait  avec  ce  sublime
                  sourire auquel il manquait deux dents.




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