Page 61 - Lux in Nocte 16
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autant  chargées  de  sacralité  que  le  rituel  lui-même,  mais  le  rendant  en
               quelque  sorte  plus  puissant  par  sa  permanence.  C’est  ainsi  que  si,  par
               exemple, les rites agraires possèdent des structures analogues de la Chine à
               la  Méditerranée  et  jusqu’aux  Amériques,  l’infinie  variation  des  thèmes
               décoratifs qui les accompagnent permet à cour sûr de distinguer les régions
               et les traditions au premier regard. Car, le plus souvent, le poids des valeurs
               pèse  davantage  sur  les  variations  stylistiques  que  sur  les  structures
               universelles : c’est en effet là où se réfugie la singularité d’un groupe, donc
               l’auto-reconnaissance individuelle.
               Le cas des Balkans néolithiques est spécialement éloquent car les sociétés y
               sont  puissantes,  anciennes,  longues  et  diversifiées  (Gimbutas,  1991 ;
               Kozlowski,  1993),  de  telle  sorte  que  leurs  valeurs  imprègnent  encore  les
               campagnes  où  elles  furent  parfois  approchées  par  des  études
               ethnographiques  récentes.  Dès  lors,  la  mise  en  perspective  des  symboles
               graphiques néolithiques y gagne une infinie richesse.

               Les rythmes saisonniers
               L’étude de Nicolaï Nikov (2004) illustre parfaitement cette relation entre les
               rythmes  naturels  et  les  rituels  sociaux  préservés  dans  les  campagnes  de
               l’actuelle Bulgarie. L’année s’amorce par un jeu de masques aux références
               animales et agressives, telles les cornes de béliers. Ils incarnent et expriment
               la rudesse de l’hiver à combattre. Des rameaux d’arbustes décorés y sont
               opposés,  intermédiaires  entre  sacré  et  réel,  ils  rétablissent  la  fécondité.
               Durant  les  débuts  de  l’année  solaire,  l’eau  est  glorifiée  pour  sa  force
               purificatrice et magique, sous la forme d’une croix jetée à la rivière. C’est
               aussi le moment de la fraternité au sein du groupe, spécialement les grands-
               mères accoucheuses. Ensuite, les rituels portent sur le renouveau du soleil
               levant et de la renaissance des défunts. Les relations parentales sont ensuite
               renouvelées au printemps. Les animaux de trait (bovidés) sont honorés. Des
               feux sont allumés et des flèches lancées. Cette période est aussi celle des
               masques et déguisements pour chasser les mauvais esprits des champs et les
               rendre fertiles. Les chevaux sont ensuite honorés afin d’assurer leur santé et
               fertilité.  Au  mois  de  mars,  les  champs  sont  ensemencés  après  y  avoir
               enfoncé  des  branches  incandescentes.  Le  retour  du  soleil  est  annoncé  par
               l’arrivée des hirondelles et des cigognes, accompagnées par des champs et
               des  sacrifices.  Le  mois  d’avril  est  dédié  aux  femmes  non  mariées  qui
               exhibent leurs plus beaux apparats, en insistant sur la couronne, le décolleté
               et le tablier. En avril, les dragons viennent tourmenter les jeunes filles, qui
               sortent vainqueurs évidemment de ces « combats »… Les œufs sont peints
               et  les  deux  premiers  pondus  sont  teints  en  rouge,  couleur  du  dieu  des
               foudres ;  ils  sont  gardés  toute  l’année  car  chargés  de  vertus  curatives.  À








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