Page 73 - Lux in Nocte 17
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ÉCRIRE EN FRANÇAIS
J’ai commencé à écrire en français à trente-sept ans. Et je pensais que ce serait facile. Je
n’avais jamais écrit en français, sauf des lettres à des bonnes femmes, des lettres de
circonstances. Et tout d’un coup, j’ai eu d’immenses difficultés à écrire dans cette
langue. Ça a été une sorte de révélation, cette langue qui est tout à fait sclérosée. Parce
que le roumain, c’est un mélange de slave et de latin, c’est une langue extrêmement
élastique. On peut en faire ce qu’on veut, c’est une langue qui n’est pas cristallisée. Le
français, lui, est une langue arrêtée. Et je me suis rendu compte que je ne pouvais pas
me permettre de publier le premier jet, le premier jet qui est véritable. Ce n’était pas
possible ! En roumain, il n’y avait pas cette exigence de clarté, de netteté, et je
comprenais qu’en français il fallait être net. J’ai commencé à avoir le complexe du
métèque, le type qui écrit dans une langue qui n’est pas la sienne. Surtout à Paris...
Avec Jean-François Duval, 1979.
Durant l’été 1947, alors que je me trouvais dans un village près de Dieppe, je
m’employais sans grande conviction à traduire Mallarmé. Un jour, une révolution
s’opéra en moi : ce fut un saisissement annonciateur d’une rupture. Je décidai sur le
coup d’en finir avec ma langue maternelle. « Tu n’écriras plus désormais qu’en français
» devint pour moi un impératif. Je regagnai Paris le lendemain et, tirant les conséquences
de ma résolution soudaine, je me mis à l’œuvre sur-le-champ.
Avec Gerd Bergfleth, 1984.
ELIADE
Qui était donc Mircea Eliade ? Je crois pouvoir répondre : un esprit ouvert à toutes les
valeurs proprement spirituelles, à tout ce qui résiste au morbide et en triomphe. Il
croyait au salut, il était visiblement du côté du Bien, choix non sans danger pour un
écrivain, mais choix providentiel pour quelqu’un qui repousse les prestiges de la
négation ou du mépris. Si démoralisé qu’on était, on ne partait jamais désemparé après
un entretien avec lui. Foncièrement inapte au cafard, il avait un fond de santé qui
m’émerveillait. Plus d’une fois je lui ai dit qu’il était affecté d’une sorte d’illusion
héréditaire. La clef de son invincible optimisme, il faut la chercher dans son
acharnement à laisser une image complète de ses ressources, à s’accomplir en somme
comme nul autre, au risque, avouons-le, de priver amis et ennemis du plaisir de ruminer
sur ses défaillances.
Dans la revue Limite, nos 48-49, novembre 1986.
ENFANCE
Je suis né [en 1911] à Ràsinari, un village des Carpates, à la montagne, à douze kilomètres
de Sibiu (Hermannstadt). Ce village, je l’aimais énormément ; j’avais dix ans quand je
l’ai quitté pour aller au lycée de Sibiu et je n’oublierai jamais le jour, ou plutôt l’heure,
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