Page 75 - Lux in Nocte 17
P. 75
EST DE L’EUROPE
Au fond, tous les gens de l’Est de l’Europe sont contre l’Histoire. [...] C’est que les gens
de l’Est, quelle que soit leur orientation idéologique, ont forcément un préjugé contre
l’Histoire. Pourquoi ? Parce qu’ils en sont victimes. Tous ces pays sans destin de l’Est
de l’Europe, ce sont des pays qui ont été au fond envahis et assujettis : pour eux
l’Histoire est nécessairement démoniaque.
Avec Léo Gillet, 1982.
EUROPE
Je crois que le déclin de l’Europe a commencé avec les jacobins et Napoléon. C’est-à-
dire, avec le déraillement de la Révolution française et les guerres qui suivirent et qui
ont affaibli le peuple français. Ce disant, je peux paraître quelque peu réactionnaire. Le
fait est que d’une part je suis tout à fait d’accord avec les principes de la Révolution, et
que d’autre part, je pense que les jacobins et Napoléon furent une catastrophe pour
l’histoire européenne.
Avec François Fejtö, 1986.
EXISTENCE
A vingt-six, vingt-sept ans, je dormais deux ou trois heures au maximum. Tout ce que
j’ai écrit à cette époque est délirant, et l’on ne comprend aucune de mes réactions sans
les rapporter à cette catastrophe. C’était si grave que ma mère pleurait... J’errais toutes
les nuits... Un jour je lui ai dit : « Je n’en peux plus » ; ce à quoi elle m’a répondu avec
une phrase qui continue de m’impressionner (il ne faut pas oublier que ma mère était la
femme d’un prêtre) : « Si j’avais su, je me serais fait avorter. » Cela m’a bouleversé, mais
ça m’a fait beaucoup de bien.
Avec Lea Vergine, 1984
Je dois dire que ces mots, au lieu de me déprimer, ont été une libération. Ça m’a fait du
bien... Parce que j’ai compris que je n’étais vraiment qu’un accident. Il ne fallait pas
prendre ma vie au sérieux.
EXTASE
C’était entre 1920 et 1927, époque de malaise permanent. J’errais toutes les nuits dans
les rues en proie à des obsessions funèbres. Durant cette période de tension intérieure,
j’ai fait à plusieurs reprises l’expérience de l’extase. En tout cas, j’ai vécu des instants où
l’on est emporté hors des apparences. Un saisissement immédiat vous prend sans
aucune préparation. L’être se trouve plongé dans une plénitude extraordinaire, ou
plutôt, dans un vide triomphal. Ce fut une expérience capitale, la révélation directe de
l’inanité de tout. Ces quelques illuminations m’ouvrirent à la connaissance du bonheur
suprême dont parlent les mystiques. Hors de ce bonheur auquel nous ne sommes
qu’exceptionnellement et brièvement conviés, rien n’a une véritable existence, nous
vivons dans le royaume des ombres. Avec Sylvie Jaudeau, 1988.
75 Sommaire