Page 52 - Lux in Nocte 13
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L’Étonnante diversité du temps



                                            Dans une perspective pluridisciplinaire, les « Carrefours d’idées »,
                                            créés et animés par Hédi Aboueleze et Jean-Pierre Otte, présentent,
                                            autour du thème du temps, un ensemble de savoirs et de passions
                                            jouant comme à l’intérieur d’un kaléidoscope.
                                            Chaque  mardi,  découvrons  un  texte  nouveau,  comme  une  pièce
                                            ajoutée au puzzle, avant de comprendre ce que signifie leur somme,
                                            et de nous faire une idée multiple, fertile et diversifiée de la façon
                                            dont on appréhende le temps à l’heure où il n’est question, dans les
                                            médias, que des grands dérèglements climatiques.













                          EN PRÉHISTOIRE, LE TEMPS FORGERON








                                                                                        Marcel Otte

                              Au fil de son déroulement, le temps cristallise l'éphémère, son flux impose
               une  structure  figée  aux  événements  dont  les  agencements,  désormais,  restituent  la
               genèse. Agissant  sur l'humanité,  cette mécanique  enclenche  un  processus prométhéen :
               l'esprit est à la forge, il se constitue. Au passage, le temps nous offre l'illusion d'être ses
               propres objectifs, sa destinée : il nous rassure par son immense durée, comme si nous en
               étions un point d'aboutissement.  Approchée  pour  ce qu'elle est, la Préhistoire démonte
               cet artifice : nous ne sommes  que passages en  perpétuelle mouvance, en  totale errance,
               étirée de la matière à la pensée, sans repère et sans but, jamais achevée, formée de défis
               inlassablement soulevés par une conscience inquiète d'elle-même.  Notre particularité se
               réduirait donc à un vice dans la conception originelle : l'insatisfaction, la remise en cause,
               le doute.  Les religions ont alors le beau  rôle, et la science à leur suite : elles offrent un
               sens, un destin, une raison d'être. Comme la science, les religions cherchent à distinguer
               l'humain du reste. L'une et les autres s'y emploient en vain : notre nature est double et le
               restera. Inversement, il faut bien admettre le partage de la pensée avec le reste du monde
               vivant  d'où  nous  voulons  nous  extraire  :  seule,  apparemment,  cette  illusion  reste
               humaine.


                              Le  matériau  spirituel  dont  la  nature  humaine  s'est  constituée  au  fil  de
               l'évolution  s'est  progressivement  extrait  des  contraintes  biologiques.  Chez  l'homme,  le
               temps fonctionne selon un principe formateur irréversible : il offre un axe à l'esprit. Ainsi
               sa maîtrise est proprement sacralisée, autant dans l'intelligence du passé, promu au rang


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