Page 55 - Lux in Nocte 13
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Bien plus tard encore, les forces liées à l'approvisionnement nutritionnel
tendront à fixer l'habitat dans des environnements restreints : tout l'univers de la pensée
basculera, sans perdre ses fondements antérieurs : nous sommes toujours poursuivis par
les mythes originels. Mais l'axe du temps, utilisé comme repère jusque-là, tendra à
s'étaler selon celui de l'espace, stabilisateur, perpétuel, serein. Avec les grands villages
puis les cités, le rapport à l'univers est maîtrisé via sa permanence et son renouvellement
régulier. L'homme tend alors à y acquérir un statut en harmonie avec cette nouvelle
vision du monde : il sera permanent et renouvelable, comme les étoiles, comme les
saisons, et celles-ci porteront ses dieux, forgés à sa propre image. Comme eux, il sera
éternel. L'art de la permanence s'impose, se bâtit, s'exprime, via les mégalithes, nos
futures cathédrales, et via l'écriture qui fige la parole et lui donne une mémoire en
alignant des sons. Deux pas plus avant, et nous sommes là, à partir de textes, confondant
notre statut avec notre genèse, en un temps aplati qui nous rassure. Il faut bien le
reconnaître, nous ne sommes qu'un temps, pas même un destin, car il reste imprévisible,
voire inquiétant. Le temps nous a créés selon ses lois constantes, et il nous diluera selon
la même logique. Reste un temps, celui-ci consacré à l'interrogation, à la jouissance du
mystère d'être soi, au vertige suscité par ses propres origines, tous ces jeux offerts par le
temps, qui nous guette et nous façonne.
Marcel Otte est professeur de préhistoire à l'université de Liège, et ses recherches
thématiques portent sur l'origine des religions, des arts et de la pensée durant les temps
paléolithiques (L'articulation du langage plastique et Origines des Dieux, chez De Boeck).
Des travaux de synthèse, tels Origine des Religions chez Masson, Origine de la Pensée,
chez Mardaga, Cro Magnon chez Perrin. En cours : Civilisations paléolithiques chez
Armand Colin.
Son projet essentiel est d'introduire la diachronie dans la constitution de la Pensée
Sauvage, tels que nous sommes devenus. L'Antiquité étant pour lui une sorte de
parenthèse accidentelle, relativement à l'immensité de la véritable histoire humaine,
celle des civilisations sans écriture : sur toute la terre et en tous temps.
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