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PENSÉES DÉVIANTES

             La patience est un mot dont je n’ai pas d’accointance. Non,
             non.   La   patience,   c’est   attendre…   souvent   à   distance.   Et
             attendre c’est perdre du temps de vie, c’est le contraire de
             l’accomplissement   et   une   des   nombreuses   carences   de   la
             constitution d’une existence.

             Aujourd’hui   j’ai   cette   sensation   d’attendre   au-delà   du
             raisonnable. Ce bus qui n’arrive pas et ces gens insensibles
             comme l’eau qui travers la terre qui se noie…

             J’attends   parmi   d’autres   attentes.  Longueur   d’un  temps   qui
             s’étire de bras à bras de minutes torturées, j’accomplis ma
             souffrance, mon impatience, ma pénitence, mon calvaire…

             J’entrevois   la   ferveur   de   certains   à   cette   souffrance   de   la
             patience déclinée sur le palier de l’attente et à son dernier
             degré celui du manque, à ronger les ongles des aiguilles de
             l’horloge du souffle qui fredonne les soupirs comme des râles
             et à toute aventure possible, la récompense, le trophée de la
             jouissance, de la libération de l’entrave du manque qui a posé
             le mot bonheur presque comme une enclume.

             Et j’attends ce bus maudit qui ne vient pas et je tourne en rond
             dans mon esprit trop étroit ma condition de salissure, de tâche
             indélébile sur le parvis goudronné de cet abri qui m’aspire
             dans les tréfonds de la fièvre de l’agacement.

             À genoux il faudra me repentir de ces pensées et me traîner
             sur le dallage cadavre de ma cellule… quand un indécis me
             cloue par ces quelques mots :

             — Mon seigneur vous vous êtes égaré de votre diocèse ?
             — Non, mon fils… mon chauffeur est en gréve, il se dit comme,
             nos religieuses, abusés par de nombreuses tâches et heures…
             Est-ce que Jésus a compté ses heures, lui ? Non, mon fils. Je
             vous le dis en vérité…
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