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James Burns / Le bioscope africain                           113

          l'a fait pour deux raisons: d'abord, le recrutement, le transport et l'approvi-
         sionnement des soldats africains pour l'effort de guerre ont mis à contribu-
         tion les installations de divertissement de plusieurs villes coloniales. Au
         Kenya, l'arrivée de troupes ouest-africaines en route vers l'est a forcé le
         gouvernement colonial à réévaluer son attitude à l'égard des bioscopes afri-
          cains. L'événement qui a précipité cette reconsidération a été une plainte
          exprimée à la Chambre des communes concernant le fait que les troupes
          ouest-africaines stationnées au Kenya étaient confrontées à la ségrégation
          raciale dans les cinémas. L'origine du problème réside dans le fait que la
          ville côtière de Mombassa ne dispose d'aucun bioscope africain en état de
          marche, le précédent ayant été fermé lors d'une épidémie de choléra et
          n'ayant jamais été rouvert. Ainsi, alors que plusieurs cinémas accueillaient
          des clients blancs, les troupes ouest-africaines, pourtant habituées à fré-
          quenter les bioscopes dans leur pays, se voyaient refuser l'entrée à Mom-
          bassa .
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                   La discrimination subie par les soldats ouest-africains (proba-
         blement originaires de Lagos ou d'Accra) a attiré l'attention sur la question
         de la ségrégation raciale dans les bioscopes, un problème qui allait devenir
         de plus en plus aggravant pour les africains urbains, et embarrassant pour
         les autorités britanniques, à mesure que la popularité des salles de cinéma
         augmentait. Avant la guerre, les politiques de ségrégation raciale les plus
         strictes étaient généralement associées  aux territoires comptant les plus
         grandes populations de colons européens. La colonie des colons de Rhodé-
         sie du Sud et l'Union sud-africaine, dominée par les Européens, avaient des
         cinémas séparés pour les « Blancs » et les « Indigènes », tandis que le Kenya
         n'avait pas du tout de cinémas pour les africains. Cependant, la situation
         dans les régions où il n'y avait pas d'importantes communautés de colons
         était variée.  Dans le Nigeria colonial, les bioscopes des États Haoussas du
         nord, à prédominance islamique, faisaient l'objet d'une ségrégation raciale,
         tandis que ceux des régions côtières du sud ne l'étaient pas. En 1941, l'ad-
         ministrateur du ministère des Colonies responsable de la protection sociale
         en Afrique, J. L. Keith, observe que les européens empêchent les africains
         de voir des films au Kenya, en Rhodésie du Nord et en Rhodésie du Sud,
         car « les Européens s'opposent à leur présence dans les lieux de divertisse-
         ment que la communauté européenne considère comme les siens  » sur le
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         plan d'urbanisme  . Dix ans après la fin de la guerre, seules l'Afrique du
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         Sud et la Rhodésie du Sud conservent encore des salles ségréguées; le Tan-
         ganyika (aujourd'hui Tanzanie), l'Ouganda et la Rhodésie du Nord (au-
         jourd'hui Zambie et Zimbabwe) ont abandonné les bioscopes ségrégués à
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