Page 120 - LES FLEURS DE MA MEMOIRE ET SES JOURS INTRANQUILLES_Neat
P. 120
RUE DU FAUBOURG ST-HONORÉ
J’avais quitté l'Italie, un brin nostalgique, mais complètement soulagée de
la situation dans laquelle je m'étais involontairement retrouvée. Il fallait bien
se rendre à l'évidence, je n'avais accompli aucune formalité administrative qui
aurait pu me permettre de m'y installer, quant à Luigi ou sa famille, aucun
n'avait tenté de m'aider dans cette situation de clandestine. Je n'avais donc
aucun remord et me sentais déterminée à accomplir ma destinée
professionnelle sans avoir recours à mes relations désormais.
Dès mon arrivée à Paris, je consultais ma situation bancaire, puis les
sociétés d'intérim afin de me trouver un job alimentaire, en attendant des jours
meilleurs, et je m'installais à l'hôtel. J'avais retrouvé quelques-uns de mes amis,
mais au lieu de passer mes soirées avec eux en discothèque j'avais résolu de
m'établir un programme bien précis. La journée je faisais du secrétariat, et je
consacrais mes soirées à la création et l’élaboration de dessins de tissus. Je les
réalisais avec beaucoup de soin et d'attention, afin de me préparer un dossier
professionnel. Cette solitude m'apaisait énormément et finalement était
favorable au développement de mon imagination pour les créations en cours et
bien meilleures que celles réalisées au Lac de Côme, conservées par Luigi.
Il me fallut un mois pour arriver à me constituer ce précieux dossier.
Lorsque je fus prête, il restait l'ultime épreuve à accomplir. Je m'apprêtai donc
avec beaucoup de soins pour la coiffure et le maquillage ainsi que ma
présentation vestimentaire vintage puis avec un peu d'audace, mon dossier de
dessins sous le bras, je décidai d’arpenter la rue du Faubourg Saint-Honoré et
d’écumer les maisons de couture et de prêt-à-porter pour présenter mon
dossier. Je rangeai ma timidité au placard et j'eus la bonne idée de commencer,
par me rendre chez Lanvin, sans avoir pris rendez-vous. Le hasard me fit
prendre l’ascenseur avec un certain comédien dont on parlait énormément,
puisqu’il s’agissait d’Alain Delon qui ne m’impressionna absolument pas.
C'est le directeur artistique de la maison, Jules-François Crahaye qui me
reçut. Cette première visite s'annonça très bien. Mon dossier lui plaisait, il
recherchait une personne pour dessiner les silhouettes de la dernière
collection de haute-couture en exemplaires multiples. En y réfléchissant bien,
cela me rappela mon premier job de dactylo à la Lainière de Roubaix, où il
fallait taper et produire la même lettre à raison d'une quarantaine minimum
dans la journée.
119