Page 235 - LES FLEURS DE MA MEMOIRE ET SES JOURS INTRANQUILLES_Neat
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LA MOUCHE DU COCHE
Il était de coutume à chaque période de collection, de voir apparaître
Monsieur David Gamrasni, l’un des financiers de la société, proche de la
Vicomtesse. Il aimait participer à cette effervescence durant les périodes de
collection, et se rendre utile. Néanmoins, il intervenait un peu trop souvent
dans mon organisation personnelle sans la connaître, et plus d’une fois je
m’étais fâchée, ne voulant pas de son ingérence dans ce que j’avais patiemment
organisé. Un jour, il avait sérieusement réussi à me contrarier avec ses ordres
et conseils inutiles et malgré mon indifférence il avait fini par m’excéder. Je
décidais alors de quitter mon bureau après l’avoir rangé, lui expliquant que
c’était dimanche et de plus, le jour de mon anniversaire, alors il était préférable
que je rentre chez moi. La Vicomtesse sortait du studio lorsqu’elle m’aperçut
descendant le grand escalier tout en me chamaillant avec M. Gamrasni. C’est
ainsi qu’il se fit gentiment sermonner comme un gamin par la Vicomtesse, afin
qu’il me fiche la paix, mais je décidais fermement de rentrer chez moi pour
fêter mon anniversaire en famille et oublier cette période de collection
éprouvante auquel s’ajoutait le fardeau de M. Gamrasni.
Il cherchait pourtant souvent à se rendre utile, et malgré sa sympathie et
son énergie débordante, rien ne se passait comme il l’aurait souhaité. J’avais
fini par le rebaptiser « La Mouche du Coche ». Il y eut ce jour où il estima que le
studio était trop encombré de rouleaux de tissus, pourtant soigneusement
rangés par catégories et coloris. Il décida de faire du tri, ce qui n’était pas à mon
goût puisqu’il allait une fois encore mettre son nez dans mon organisation et la
déranger. Devant mon désaccord et connaissant mes réactions, il se contenta
de déplacer uniquement les rouleaux de doublure et les déposa dans mon
bureau, sur le lit Directoire de Feu Monsieur le Comte. Il n’en avait pas encore
terminé avec cet amoncellement de rouleaux de doublure, lorsqu’il décida que
le mieux était de les disposer sur une étagère à deux niveaux qu’il bricola à
l’aide de planches en contreplaqué, maintenues par des piquets de bois blanc et
de gros clous inesthétiques, puis il ajouta sa touche personnelle, en recouvrant
chaque étagère de papier autocollant façon marbre. Elle surmontait le lit
Directoire de Feu Monsieur le Comte. J’étais horrifiée et je pouffais de rire
discrètement, en décidant de ne pas intervenir, puisqu’il n’avait pas dérangé
mon organisation de studio.
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