Page 231 - LES FLEURS DE MA MEMOIRE ET SES JOURS INTRANQUILLES_Neat
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Ma sœur avait un ami qui recherchait un emploi dans le domaine de la
              mode. J’allais donc le faire engager et le former. Il était d’origine malgache et
              portait un nom de famille très compliqué comme la plupart de ses
              compatriotes. Lorsque je le présentai à mon employeur, elle décida qu’elle
              l’appellerait Hary tout simplement. Nous étions de toute façon tous plus ou

              moins appelés par notre prénom, en ce qui concernait l’équipe du studio et les
              premiers d’atelier, sauf pour son directeur technique probablement parce qu’il
              était indépendant.

                         Notre employeur nous expliquait souvent que nous avions à suivre
              l’exemple des États-Unis et « travailler l’américaine », puisque la majeure partie
              de sa clientèle se situait aux États-Unis, elle se faisait un plaisir d’y faire
              référence pour nous rappeler qu’apparemment aux « États-Unis » on ne
              déjeunait pas, et que le dimanche était un jour ouvrable, notamment dans le
              domaine de la mode. Il était exceptionnel de la voir apparaître au studio le
              matin dès notre arrivée, ce qui nous permettait de mettre de l’ordre dans
              l’organisation de nos attributions professionnelles avant son arrivée vers
              l’heure du déjeuner, nous privant hélas de ce moment de détente. Nous avions
              fini par ruser pour nous échapper et profiter de cette pause déjeuner tellement
              méritée. Il nous arrivait parfois de déjeuner sur place, alors elle se sentait un
              peu gênée de nous déranger et pour la forme, nous interrogeait sur le contenu
              de notre repas. C’est alors que je m’étais permise de lui répondre « Repas chaud
              Madame : Côte d’agneau haricots verts, revenez-donc dans une heure » !

                        Lorsqu’on avait la chance de lui échapper pour le déjeuner, cela relevait
              de l’exploit, puisque nous descendions le grand escalier sur la pointe des pieds,
              en n’oubliant pas de nous baisser et raser les murs, au cas où elle se trouverait

              au rez-de-chaussée. Cela peut paraitre surréaliste mais il en était souvent ainsi.

                        Elle n’avait aucune notion des règles ou lois du travail, puisqu’elle était
              une sorte de « Marie -Antoinette à la couture », ce qui nous obligeait souvent à
              faire preuve d’imagination pour ne pas se faire dévorer professionnellement,
              mais il était préférable de s’adapter à la situation ou d’oublier ce job. Aussi, à
              chaque personne récemment engagée, nous nous faisions un plaisir de lui
              expliquer avec une certaine ironie, qu’il était vivement conseillé de posséder un
              congélateur et un micro-ondes chez soi, avec quelques réserves de conserves et
              produits surgelés.

                         Si nous dépendions totalement de ses humeurs et caprices, il n’en reflétait
              pas moins une grande liberté d’actions dans nos entreprises, ce qui allait nous
              donner un goût définitif d’indépendance professionnelle.



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