Page 230 - LES FLEURS DE MA MEMOIRE ET SES JOURS INTRANQUILLES_Neat
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Seul le personnel du studio avait l’autorisation d’emprunter le grand
escalier situé dans le hall d’entrée. Je n’ai jamais compris pourquoi ces
différentes sociales au XXème siècle, un peu comme les différentes castes
indiennes. Le personnel des ateliers, responsables ou petites mains devaient
obligatoirement emprunter l’escalier de service réservé au personnel
domestique. Il en était de même pour les toilettes situées à l’étage supérieur. Je
me sentais privilégiée mais révoltée.
Lorsque la Vicomtesse était en voyage professionnel, j’autorisai ce
personnel des ateliers à utiliser les toilettes situées dans mon bureau, mais
également le grand escalier à balustrade, puisque je le ressentais comme
discriminatoire, mais nous étions dans un lieu très particulier aussi je
respectais les consignes du protocole en la présence de mon employeur.
Si mes fonctions officielles se résumaient à être l’assistante du studio, elles
n’en n’étaient pas moins vastes et indéfinies et souvent contraignantes. Ma
force de caractère, à laquelle s’ajoutait une conscience professionnelle, et une
certaine passion pour la mode du luxe m’aidaient énormément à résister, mais
plus j’en faisais, plus elle en exigeait.
Pour la première collection le défilé s’était déroulé avec grand succès au
Cercle de l’Union Interalliés situé rue du Faubourg Saint Honoré, le Comte de
Beaumont, son père, en était le Président. Il s’en suivit un dîner auquel je
m’étais retrouvée attablée entre les deux Comtes, l’époux de l’écervelée
Florence, et le Comte de Ribes ne cessant de faire l’éloge de son épouse quant à
ses créations. Je confirmais son bon goût et son talent, mais je me réservais
toutes critiques à son égard, ce qui aurait été peine perdue.
À la suite de cette première collection, j’eus droit aux éloges de toute la
hiérarchie supérieure, au point de me faire des courbettes. J’étais tellement
exténuée que l’on me demanda ce qu’il fallait pour améliorer les conditions de
travail. J’aurais pu prétendre une révision de mon salaire à la hausse, déjà bien
conséquent, sachant que mes frais de nourrice étaient surélevés, vu les
nombres d’heures effectuées, mais j’étais plus orientée vers la conscience
professionnelle que la convoitise et je souhaitais une personne supplémentaire
pour me seconder, d’autant plus que cette fatigue et ce stress m’avait fait
perdre énormément de poids.
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