Page 225 - LES FLEURS DE MA MEMOIRE ET SES JOURS INTRANQUILLES_Neat
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J’ai gardé le souvenir d’une collection en cours, où elle avait emporté de
nombreux bijoux pour les déposer chez l’artisan créateur, afin d’y apporter
quelques retouches. A son retour le lendemain, elle arriva bredouille et
totalement hors sujet. La Vicomtesse lui demanda de se justifier. Après avoir
longuement réfléchi, elle se remémora sa performance à la piscine la veille, et
avoir probablement oublié le sac contenant les précieux accessoires, dans la
cabine où elle s’était déshabillée. Ce fut un véritable miracle parce qu’elle eut la
chance de les retrouver dans son intégralité. C’est ma sœur Martine, plus
méthodique et organisée, qui la remplacera par la suite.
Quant à Claudine, toujours aimable et souriante, faisant preuve d’une
patience irréprochable, s’était vu attribuer une seule table de bridge faisant
office de bureau, dans le couloir sombre situé entre le studio, et la sublime
bibliothèque de bois précieux qui longeait le couloir et contenant des livres
anciens et rares. Avec le peu de luminosité et le manque de place, elle avait
accroché une lampe à pince à la poignée de la fenêtre, face au bureau, puis pour
faire un peu d’ordre dans ces documents et plannings, elle les avait d’abord
scotchés sur la bibliothèque, puis punaisés par la suite, afin de ne pas les
égarer.
Il fallut élaborer quelques collections pour se rendre compte, non pas de
la situation précaire où se trouvait Claudine installée à ce bureau de fortune,
mais parce qu’elle avait osé punaiser quelques documents sur la fameuse
bibliothèque du couloir. Un grand scandale éclata lorsque le Comte s’en
aperçut. Il fit remarquer à la Vicomtesse que son personnel se permettait de
détériorer le mobilier de la maison. Claudine fut très confuse mais révoltée par
cette attitude, devant la négligence absolue de ses conditions de travail, ce qui
ne changea absolument en rien la situation et elle en fut réduite à accepter sa
condition, à laquelle il faut ajouter l’arrivée de ma sœur qui allait partager le
même bureau que Claudine.
Il y avait avant mon arrivée l’indispensable conseiller technique M.
Mouton qui avait ses propres ateliers en ville. Il travaillait en free-lance et en
étroite collaboration avec la Vicomtesse et lui avait déjà réalisé la première et
magnifique collection. Une médaille du mérite aurait pu lui être attribuée, pour
la patience et le nombre d’heures passées à la réalisation des modèles de
collection et supporter les caprices de la créatrice. Mais il l’admirait et parfois il
nous faisait remarquer que la Vicomtesse, même enroulée dans un drap de
bains, après les essayages, ou vêtue d’une robe du soir, avait toujours autant de
classe.
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