Page 232 - LES FLEURS DE MA MEMOIRE ET SES JOURS INTRANQUILLES_Neat
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UNE LIVRAISON INATTENDUE





                         Il régnait dans l’hôtel particulier, une atmosphère de très grande
              effervescence permanente, entre le personnel de maison et celui du studio,
              mais également la clientèle chic, les rendez-vous mannequins avant les défilés,
              les fournisseurs, les livreurs, à tel point que mon employeur nous avait fait
              remarquer, avec une certaine dérision, la chance de ne pas encore avoir fait
              l’objet d’un cambriolage avec ce va-et-vient incessant, notamment avec tous ces
              livreurs d’origine étrangère. Il faut ajouter que l’hôtel particulier faisait partie
              de notre quotidien et s’il était un véritable musée, où étaient exposés, tableaux
              et objets rares et précieux, souvent historiques d’une valeur inestimable, nous
              n’y prêtions plus guère attention. Un jour Florence déplaçant un portant, avait
              manqué d’entrer en collision avec une toile de Maître, aussi notre employeur
              lui précisa qu’une vie entière de labeur n’aurait pu compenser la destruction
              d’une telle œuvre d’art.


                        Il y eut ce jour très ensoleillé où nous avions réussi à nous échapper en
              catimini pour un déjeuner en terrasse. C’était avant son arrivée au studio, et
              nous avions emprunté discrètement la descente du grand escalier. A peine
              arrivés au rez-de-chaussée, un livreur fit irruption avec des rouleaux de tissus.
              Il semblait perdu et cherchait à les déposer sans trop savoir où. J’en conclus
              qu’il fallait soit les remonter moi-même, ce que je tenais tant à éviter, soit lui
              indiquer le lieu exact où il devait les déposer. J’hésitai un moment, ne voulant
              pas rater notre précieuse heure de pause, alors je signais le bon de livraison, lui
              indiquant où se trouvait le studio pour y déposer les rouleaux de tissus. J’avais
              néanmoins omis de lui préciser de frapper avant d’entrer, aussi s’aventura-t-il
              précipitamment dans le studio. Il fut alors surpris, face à la Vicomtesse dans sa
              tenue minimale d’essayage, soutien-gorge et collants, mais encore plus
              surprenant pour elle, par l’arrivée fracassante d’une personne d’origine
              étrangère provenant de l’extérieur. Elle poussa un grand cri, et le livreur
              redescendit encore plus précipitamment qu’il n’était entré, nous saluant tout
              aussi confus que la Vicomtesse.

                        À notre retour de déjeuner, la Vicomtesse ne fit aucune allusion à cet
              incident, mais on ne l’entendit plus jamais faire de remarque sur les livreurs
              étrangers







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