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Encouragée  par  la  sage-femme  et  tante  Jeanne,  ma  mère  eut  encore  quelques  violentes
               poussées. Puis soudain, la sage-femme annonça haut et fort :
               « C’est  un  garçon,  Liliane,  c’est  un  garçon,  oui,  oui,  c’est  bien  un  garçon ! »
               Encore fallait-il que je veuille bien vivre et respirer...
               Dans la chambre où je venais de voir le jour, le poêle à bois, surchargé, avait pourtant peine à
               réchauffer la pièce. Suspendu par les pieds, tête en  bas,  mon  tout  petit corps passait  de la
               couleur rose, rouge violacé d’un nouveau-né, au bleu foncé presque noir d’une nécrose.
                Mon premier cri se faisait désirer. Comme elle le pouvait, l’accoucheuse tentait de donner vie
               à ce petit corps plissé, inerte, gluant et sanglant : elle lui tapotait énergiquement les fesses. En
               ces instants déterminants, mes sœurs et ma grand-tante assistaient muettes au déroulement des
               opérations  de  sauvetage,  mais  seul  le  léger  sifflement  du  vent  glacé  de  novembre,  qui
               s’infiltrait sous les portes et les fenêtres, se faisait entendre.
               Avais-je décidé de ne pas vouloir vivre ?
               Tante Jeanne, voyant  la sage-femme en difficulté, s’emmitoufla et  alla  prévenir le  docteur
               Franken.
               Figée, épuisée, anéantie, sans le vouloir vraiment, ma mère anticipait déjà le deuil de ce bébé
               de la réconciliation quelle venait à peine de mettre au monde, et qui n’aurait peut-être même
               pas  le  temps  d’accomplir  sa  mission  rédemptrice.  Après  cette  réanimation  de  la  dernière
               chance, improvisée par la sage-femme dans l’urgence, tante Jeanne de retour entra dans la
               chambre accompagnée du docteur. La sage-femme s’occupait toujours à pratiquer sur moi une
               réanimation à la bonne  franquette qui,  depuis  peu,  venait  de faire  enfin son  effet.  J’avais
               finalement poussé mon premier cri de vie.
               A peine commençais-je à respirer que le docteur me retira des mains de la sage-femme pour
               m’examiner de plus près. Dans la chambre, une fois de plus, pas un bruit.
               Tante  Jeanne  revint  de  la  cuisine  avec  une  bassine  d’eau  tiède,  que  le  docteur  lui  avait
               demandée ; il m'y trempa, me lava délicatement, me sécha, avant d’annoncer à ma mère, la
               mine grave, que je souffrais d’une double broncho-pneumonie pouvant entraîner la mort. Je
               respirais très difficilement. Il m’emmaillota dans du coton imbibé d’alcool camphré, puis me
               déposa  délicatement  dans  un  carton,  qu’il  plaça  au  chaud  près  du  poêle  à  bois.  Puis  il
               s’approcha  de  ma  mère  morte  d’inquiétude,  la  rassura  du  mieux  qu’il  le  put  en  lui
               recommandant  de  ne  pas  me  toucher  jusqu’à  son  retour.  Il  revint  à  mon  chevet  toutes  les
               heures jusqu’au soir tard et au lendemain de ma naissance puis espaça ses visites quand il fut
               certain que je voulais vivre.
               Comme elle reprenait ses esprits, ma mère allait connaître un des moments clés de sa vie :
               offrir à son mari ce cadeau tant attendu. Aussitôt après ma périlleuse arrivée en ce monde, la
               sage-femme alla dénicher mon père, réfugié pour l’occasion chez ses parents, à l’autre bout
               du village. Elle trouva, dans la chambrette du rez-de-chaussée de cette maison de village de
               quatre étages plutôt jolie qui avait vu naître les douze frères et sœurs de mon père, l’homme
               endormi à même le sol, échoué là, tout habillé, après une énième nuit de cuite. Il peinait à
               émerger. Sans ménagement, la messagère le secoua. Il fallut lui répéter la nouvelle plusieurs
               fois. « C’est un garçon, tu as un garçon, Georges, réveille-toi ! » Reprenant petit à petit ses
               esprits, fou de joie, délivré d’un seul coup de  cette tension insupportable, chape de plomb
               sous  laquelle  il s’étiolait, végétant comme il pouvait, Georges  retrouva soudain  sa  fougue.
               Exultant et comblé, il se précipita au chevet de son épouse suivi de la sage-femme. Arrivé là,
               ignorant  toutes  les  consignes  du  bon  docteur  Franken,  il  s’empara  fougueusement  du
               nourrisson, enleva les couches qui le recouvraient comme une momie, défit en hâte le cocon
               imbibé de camphre pour contrôler qu’il s’agissait bien d’un garçon, que la sage-femme ne lui

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