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A bout de ressources, les parents éplorés fouillèrent enfin la cave, pour y découvrir un sac à
               patates  qui  gesticulait  en  tous  sens  dans  le  noir  absolu.  Bouleversé,  apeuré  durant  tout  le
               temps  de  ma  capture,  j’avais  voulu  me  libérer,  mais  n’y  voyant  goutte,  j’avais  chuté  à
               plusieurs reprises et fini par m’assommer contre le rebord d’une caisse en bois : mes parents
               me retrouvèrent avec la lèvre et le menton ouverts, ensanglantés. Le châtiment exemplaire, la
               correction abrupte qui sanctionna les trois fillettes de cette tentative d’élimination ne fit, sans
               doute, qu’alimenter la hargne et la frustration de mes sœurs, qui méditaient déjà leur prochain
               plan d’extermination. Inévitablement, plusieurs épisodes de la même veine suivirent.
               J’allais sur mes cinq ans. De cette époque me reste une photo. On y voit, assis sur une vespa,
               un petit garçon qui trône, alerte et souriant, mis en valeur comme une pierre précieuse sur un
               anneau ;  autour de lui, sa tribu  pose. Sur le visage régulier du père, un homme de stature
               moyenne, de carnation plutôt foncée, se lit une certaine gravité. Quant à la mère, elle sourit
               avec fierté. A la posture et à l’expression un peu figée des trois sœurs, on se doute qu’elles
               auraient aimé être à la place de leur petit frère.
               En 1952, enfin, la famille aurait dû connaître l’aisance, la disparition définitive de ces soucis
               financiers qui ont trop souvent raison des unions les plus parfaites. Mon père était sur le point
               de signer un contrat qui lui assurerait l’exclusivité de la vente d’une caisse à outils au concept
               ingénieux et novateur. Au matin du 24 octobre 1952, il se leva, et sans réveiller ses enfants, il
               embrassa tendrement sa femme puis partit, sur la pointe des pieds, avec confiance, volant vers
               le bonheur, bien décidé à empoigner sa journée en conquérant. A dix-neuf heures, il appelait
               son épouse d'une voix réjouie pour l’informer de la signature effective du document et lui dire
               qu'il serait de retour à la maison une heure plus tard environ.
               Le repas du soir promettait des allures de fête ; enfin, la famille pourrait échafauder des plans,
               pour le plaisir, et non seulement pour assurer le minimum. Au village, le prestige de ce père
               de famille allait s’accroître. Avec fierté, son épouse mesurait le chemin parcouru entre celui-là
               même  qui  s’était  longtemps  adonné  à  l'alcool,  la  fête  et  les  dérives  de  tous  genres,  et  le
               monsieur considéré dont elle était maintenant l’épouse. Enfin, elle se sentait protégée par un
               homme qui aurait désormais les moyens matériels d’assurer sa sécurité, son bien-être et ceux
               de sa famille.
               Ce  soir-là,  alors  qu’il  avait  perdu  cette  habitude,  mon  père  se  faisait  attendre.  Les  heures
               succédaient aux heures, suscitant d’abord une certaine exaspération, une véritable impatience,
               pour faire place au sentiment dévastateur entre tous : l’angoisse de l’attente qui n’en finissait
               pas.  Il  nous  était  impossible  d’entreprendre  quoi  que  ce  soit,  de  nous  concentrer  sur  la
               moindre activité. Le retardataire prenait toute la place, focalisait toutes les pensées. Ma mère
               nerveuse  et  nous,  les  enfants,  liés  comme  jamais,  nous  étions  comme  à  la  disposition  du
               destin, nous sursautions au moindre bruit ; notre mère qui, déjà, envisageait les hypothèses les
               plus sinistres, involontairement nous les transmettait.
               En toute fin de soirée, cette absence terrifiante se prolongeait encore. Les heures s’étiraient,
               amplifiant l’étreinte du tourment. Pour nous cinq qui étions tétanisés par l’angoisse, il aurait
               été tout simplement impensable d’aller nous coucher.


               Chapitre 2



               Le paradis perdu

               Finalement, la nuit était bien avancée quand plusieurs forts coups, frappés à la porte d'entrée,
               nous  firent  tressaillir  tandis  que  nous  étions  toujours  dans  l'attente  de  celui  qui  aurait  dû

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