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avait pas menti. Ainsi, la vue d’un petit organe masculin allait changer le destin de toute une
famille. L’immense joie de mon père, subitement rendu au bonheur, le transfigura
immédiatement et durablement. Cet extraordinaire élan d’amour me propulsa sans doute, si
j’hésitais encore, du côté de la vie.
Désormais, mes parents allaient pouvoir rayonner.
De toute son âme, mon père fit le serment de se reprendre, de ne plus boire et d’œuvrer à la
prospérité des siens. Face à l’immense bonheur enfin exaucé que je lui procurais, il décida de
consacrer entièrement sa vie à sa famille. Peut-être réalisa-t-il ce jour-là la souffrance que
depuis de nombreux mois il avait infligée à ma mère ?
Premier déménagement
Rasséréné, transfiguré, brusquement extrait de son désespoir, mon père, comblé par la
naissance de son fils, tint parole. Trois ans plus tard, ma famille au complet déménageait à
Noiraigue, bourgade du canton de Neuchâtel, à l’orée d’une forêt bordée par l'Areuse, rivière
suisse qui prend sa source sur la commune de Saint-Sulpice (canton de Neuchâtel) et qui se
jette dans le lac de Neuchâtel à Boudry. Dès 1860, de nombreuses industries artisanales s’y
installèrent au fil de l'eau : moulins, scieries, huilerie, forges, laminoir… Mon père y acheta
une usine désaffectée, futur garage dans lequel les compétences du peintre mécanicien -
carrossier qu’il était feraient merveille.
Tout à son bonheur, ce père réhabilité focalisa tout son amour exclusivement sur moi, le petit
dernier, objet d’une constante attention. Le coucher représentait un moment précieux
d’intimité. Il me bordait tout en me racontant des histoires fantastiques d’une voix douce et
tendre. Il m’embrassait, me caressait le front et les cheveux avec une douceur infinie. Il
approchait son visage du mien, et terminait ses histoires en me les murmurant. Je sentais son
souffle m’effleurer le visage, ce qui me faisait sombrer dans un sommeil profond fait de rêves
pleins d’amour.
Mais le bonheur avait son prix, son revers : mes sœurs délaissées n’entendaient pas se laisser
ravir leurs places sans réagir.
Sans cesse accroché à lui comme un petit singe cramponné à sa mère, je passais le plus clair
de mes journées à jouer dans le garage sous le regard bienveillant de ce père qui n’avait
d’yeux que pour son fils chéri, ce qui ne plaisait pas forcément à mes sœurs qui, elles,
n’avaient pas le droit d’y pénétrer. Décidées à batailler dur et sans relâche pour se faire
remarquer par leur père qui s’en désintéressait complètement, les fillettes frustrées se mirent à
enchaîner traîtrises et vengeances face à ce petit frère qui, décidément, confisquait bien trop à
leurs yeux l’attention, l’affection auxquelles elles auraient dû avoir droit elles aussi.
L’instinct des enfants, parce qu’ils ne nomment ni n’analysent leurs pulsions vengeresses,
peut se déployer en toute candeur, sans fard ni retenue. Il arriva qu'un jour, après avoir
attendu le moment propice, Lisette, Marie-Madeleine et Françoise me capturèrent et
m’entraînèrent à la cave, bien décidées à ne plus entendre parler de moi. Elles me mirent de
force dans un sac à patates qu’elles ficelèrent à son extrémité, me laissant gigoter à l’intérieur
dans le noir de la cave où elles m’enfermèrent à clef. Hurlant, étouffant, sautillant, confus, je
finis par basculer d’un coup du paradis en enfer et crus ma dernière heure venue. C’est ce
jour-là exactement que la violence fit pour la première fois irruption dans ma vie. Quelques
heures après leur méfait, l’air de rien, les trois conjurées qui se délectaient de la saveur âcre de
la vengeance, contemplaient nos parents affolés par ma disparition, tout occupés à la
recherche de leur petit. Ils allèrent même durant quelques heures sonder l'Areuse, la rivière
voisine, pensant que je m’y étais noyé.
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