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par un travail qui conservait le caractère brut de la matière, donnant des œuvres originales
puissantes et âpres, pas toujours comprises ni appréciées.
Sur l'une de mes toiles, symbolisant ma vie, un cœur saignant d’un rouge profond, brûlé au
chalumeau, attire l’œil ; en son centre, une corde calcinée, prête à se rompre, suggère que ma
vie ne tenait plus qu'à un fil.
Pour Grisélidis restée sous les nuages de Genève, mes aventures représentaient un pôle
d’intérêt inépuisable, que ce soit dans le registre artistique ou simplement utilitaire. Elle jetait
un regard nuancé sur ces créations. Au printemps 97, elle écrivait à Yvonne Bercher :
« Certaines (œuvres) sont empreintes d’un certain mystère, de délicatesse, de beauté même.
Mais voilà : souvent inertes, privées de vie, inachevées, des esquisses, comme les moules
figés d’une expression morte… ou endormie peut-être, paralysée par la peur ou l’impossibilité
d’être, de s’exprimer vraiment. »47
L’été 98, peu avant mon retour, Grisélidis prenait en main l’aménagement de mon
appartement, relatant consciencieusement à Yvonne Bercher l’avancée des opérations :
« Je suis passée hier à son appartement. Tout est en ordre, porte toujours bien fermée, boîte
aux lettres totalement vide.
Je vais l’informer d’une surprise : un magnifique salon a été déposé chez elle, par mes soins et
ceux du compagnon d’une amie : 2 fauteuils en cuir, un grand canapé-lit en cuir et un autre
canapé-lit en étoffe. Le tout en parfait état et utilisable. C’est du plus bel effet, dans son salon
qui auparavant était d’une tristesse ! Elle pourra donc m’inviter à venir manger chez elle, car
dans la cuisine sont restées sa table et ses 4 belles chaises rouges, et nous pourrons regarder la
télévision dans son salon où ne manque plus qu’une table basse, facile à trouver sur la rue ou
d’occasion bon marché dans une brocante « Armée du Salut ». »48
L’idée de m’associer, moi la créature qu’elle disait très XVIe arrondissement, à « l’Armée du
Salut » les ravissait….
Pour des raisons administratives liées à la Suisse et à l’Italie, raisons qui finirent par me
pourrir sérieusement la vie et compromettre ma santé et ma sérénité, je dus rentrer. La quasi-
totalité de mes toiles allait rester sur place, à cause des prétentions douanières exorbitantes
que je n’avais pas les moyens d’acquitter. Ces taxes étaient fixées par l’état italien qui
prétextait que mes œuvres faisaient désormais partie du patrimoine culturel des Pouilles,
région dans laquelle elles avaient été exposées à plusieurs reprises dans des lieux faisant eux
aussi partie du patrimoine, et arguait surtout que la région avait servi de berceau à leur
élaboration.
Durant mon absence, un couac entre Yvonne Bercher et moi dans la gestion de mon
appartement suspendit, pour plus d’une dizaine d’années, notre amitié. Cette rupture, pour
laquelle chacune détenait sa vérité, me causa une peine immense, mais chacune de nous resta
campée sur ses positions, la mauvaise foi de l’une contre l’indiscutable bonne foi de l’autre,
propres à nos tempéraments. Fin 98, Grisélidis ayant pris fait et cause pour moi, Yvonne
Bercher sortit du trio. Elle resta imperturbable et, sans appel, n’entretint plus aucune
communication ni avec Grisélidis ni avec moi. En 2008 finalement, le hasard remit Yvonne
Bercher sur ma route et nous reprîmes la conversation là où nous l’avions laissée. Entre-
temps, Grisélidis était morte sans que les deux ex amies aient pu se dire au revoir.
Grisélidis était née sous le signe du Lion et moi, du Scorpion avec un ascendant Scorpion : le
cœur généreux du Lion peut aider le Scorpion à être plus ouvert dans l'expression de ses
émotions alors que la perspicacité fine et la compassion pour les faiblesses humaines du
Scorpion peuvent aider le Lion à s'accepter comme un être humain ordinaire. Les projets de
création en commun peuvent faire ressortir le meilleur des deux. Mais l'atmosphère générée
par les confrontations entre ces deux signes peut être chaude... Étant deux personnalités fières
47 Lettre de Grisélidis Réal à Yvonne Bercher du 16 avril 1997.
48 Lettre de Grisélidis Réal à Yvonne Bercher du 8 août 1998.
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