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avec des caractères puissants, nous avions très probablement reconnu et rencontré en l'autre
               notre moitié, aussi bien en force et détermination qu'en intensité. Mais aucune de nous n’était
               bonne perdante et nous pouvions être bornées quand nous sentions que l’une ou l’autre avait
               été  battue.  C’est,  je  pense,  parce  que  nous  honorions  et  respections  nos  sensibilités,  notre
               profonde  honnêteté  et  nos  fiertés  respectives,  que  nous  avons  pu  conserver  cette  passion
               brûlante qui n’était pourtant qu’affective, longue amitié hors des sentiers battus. Les gens ont
               parfois eu l'impression qu'ils assistaient entre nous deux au dernier acte d'un opéra de Verdi,
               mais ni l'une ni l’autre nous n’aurions voulu que cela soit différent.
               Mes rapports avec Grisélidis connurent donc eux aussi leurs turbulences ; souvent le combiné
               du téléphone était raccroché par l'une ou l'autre. La complexité de notre relation, que l'on ne
               peut comparer à rien, inexplicable, très intense, indestructible, faite d'amour et de haine, se
               manifestait de différentes manières.
               Alors  qu’elle  avait  toujours  face  à  moi  critiqué  mes  peintures,  un  jour,  Grisélidis  me  fit
               solennellement part de son désir d’acheter une de mes toiles, « La petite fille au chat ». Après
               la conclusion de la transaction et jusqu’à sa mort, le tableau resta chez moi, même si maintes
               fois, je l’enjoignis à le prendre. Ce n’était jamais l'heure ni le moment. En revanche, jusqu’à
               ce qu’elle disparaisse, elle garda, placardée sur la porte de son appartement, visible par tous
               les visiteurs, une affiche annonçant l’une de mes expositions de peinture « Regards sur les
               Pouilles 1999 ». « La petite fille au chat » est aujourd’hui la propriété de Léonore Réal, sa
               fille. Jusqu’à aujourd’hui, celle-ci est encore à mes côtés, et je la considère comme ma fille de
               cœur, sûre et dévouée, là… avec moi pour le pire comme le meilleur : je l’aime infiniment
               comme mon propre sang, ma propre chair, au-delà de tout et pour toujours.
               Cette incontestable et merveilleuse liaison, indestructible, dura plus de 35 ans entre Grisélidis
               et  moi,  créatures  venues  d’ailleurs,  complètement  opposées  mais  toutes  deux  bannies  au
               regard  des  autres,  et  allait  finir  par  déboucher  sur  un  accompagnement  de  chaque  instant,
               douloureux, angoissant jusqu'à l'insupportable, jusqu’aux portes du royaume des morts et de
               l'infini.


               Chapitre 26



               Une effroyable semaine parisienne
               La « Révolution des Putes », cet insatiable vampire, absorba trente ans de la vie de Grisélidis.
               Récriminations,  rage,  énergie  phénoménale,  fierté  et  abattement,  jusqu’au  bout,  le
               déploiement  d’énergie  qu’elle  suscita  fut  toujours  spectaculaire.  En  1988,  elle  écrivait  à
               Yvonne Bercher : « Je me prépare à partir demain matin pour Paris avec des documents pour
               les Prostituées de là-bas. Elles passent leur temps à se bagarrer, se tirer dans les pattes et se
               jalouser, c’est vraiment pénible et c’est la raison pour laquelle la « révolution » n’est arrivée à
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               rien depuis 13 ans !! Je vais essayer de les réconcilier, c’est ma dernière tentative. »
               Onze  ans  plus  tard,  la  médiatique  courtisane  n’avait  pas  baissé  pavillon.  Avec  ses  deux
               chihuahuas,  fin  décembre  1999,  nous  embarquâmes  elle  et  moi  dans  le  TGV,  destination
               Paris.  Nous  nous  en  allions  voir  Constance,  autre  star  déclinante  du  who  is  who  de  la
               prostitution militante, que Grisélidis appelait « le Colonel ».
               Nous nourrissions le projet de rencontrer une comédienne, Paule Noël, qui fut élève de Lisika
               Albert Lambert et Pierre Bertin, premier prix de Comédie moderne. Elle intégra la troupe des
               Comédiens français en 1962. Sociétaire de la Comédie-Française en 1970, elle la quittera en


               49  Lettre de Grisélidis Réal à Yvonne Bercher du 24 octobre 1988.
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