Page 156 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
P. 156
avec des caractères puissants, nous avions très probablement reconnu et rencontré en l'autre
notre moitié, aussi bien en force et détermination qu'en intensité. Mais aucune de nous n’était
bonne perdante et nous pouvions être bornées quand nous sentions que l’une ou l’autre avait
été battue. C’est, je pense, parce que nous honorions et respections nos sensibilités, notre
profonde honnêteté et nos fiertés respectives, que nous avons pu conserver cette passion
brûlante qui n’était pourtant qu’affective, longue amitié hors des sentiers battus. Les gens ont
parfois eu l'impression qu'ils assistaient entre nous deux au dernier acte d'un opéra de Verdi,
mais ni l'une ni l’autre nous n’aurions voulu que cela soit différent.
Mes rapports avec Grisélidis connurent donc eux aussi leurs turbulences ; souvent le combiné
du téléphone était raccroché par l'une ou l'autre. La complexité de notre relation, que l'on ne
peut comparer à rien, inexplicable, très intense, indestructible, faite d'amour et de haine, se
manifestait de différentes manières.
Alors qu’elle avait toujours face à moi critiqué mes peintures, un jour, Grisélidis me fit
solennellement part de son désir d’acheter une de mes toiles, « La petite fille au chat ». Après
la conclusion de la transaction et jusqu’à sa mort, le tableau resta chez moi, même si maintes
fois, je l’enjoignis à le prendre. Ce n’était jamais l'heure ni le moment. En revanche, jusqu’à
ce qu’elle disparaisse, elle garda, placardée sur la porte de son appartement, visible par tous
les visiteurs, une affiche annonçant l’une de mes expositions de peinture « Regards sur les
Pouilles 1999 ». « La petite fille au chat » est aujourd’hui la propriété de Léonore Réal, sa
fille. Jusqu’à aujourd’hui, celle-ci est encore à mes côtés, et je la considère comme ma fille de
cœur, sûre et dévouée, là… avec moi pour le pire comme le meilleur : je l’aime infiniment
comme mon propre sang, ma propre chair, au-delà de tout et pour toujours.
Cette incontestable et merveilleuse liaison, indestructible, dura plus de 35 ans entre Grisélidis
et moi, créatures venues d’ailleurs, complètement opposées mais toutes deux bannies au
regard des autres, et allait finir par déboucher sur un accompagnement de chaque instant,
douloureux, angoissant jusqu'à l'insupportable, jusqu’aux portes du royaume des morts et de
l'infini.
Chapitre 26
Une effroyable semaine parisienne
La « Révolution des Putes », cet insatiable vampire, absorba trente ans de la vie de Grisélidis.
Récriminations, rage, énergie phénoménale, fierté et abattement, jusqu’au bout, le
déploiement d’énergie qu’elle suscita fut toujours spectaculaire. En 1988, elle écrivait à
Yvonne Bercher : « Je me prépare à partir demain matin pour Paris avec des documents pour
les Prostituées de là-bas. Elles passent leur temps à se bagarrer, se tirer dans les pattes et se
jalouser, c’est vraiment pénible et c’est la raison pour laquelle la « révolution » n’est arrivée à
49
rien depuis 13 ans !! Je vais essayer de les réconcilier, c’est ma dernière tentative. »
Onze ans plus tard, la médiatique courtisane n’avait pas baissé pavillon. Avec ses deux
chihuahuas, fin décembre 1999, nous embarquâmes elle et moi dans le TGV, destination
Paris. Nous nous en allions voir Constance, autre star déclinante du who is who de la
prostitution militante, que Grisélidis appelait « le Colonel ».
Nous nourrissions le projet de rencontrer une comédienne, Paule Noël, qui fut élève de Lisika
Albert Lambert et Pierre Bertin, premier prix de Comédie moderne. Elle intégra la troupe des
Comédiens français en 1962. Sociétaire de la Comédie-Française en 1970, elle la quittera en
49 Lettre de Grisélidis Réal à Yvonne Bercher du 24 octobre 1988.
156