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jamais. Je décelai alors dans le comportement anormal de Grisélidis une attitude qui criait
l’évidence d’une maladie grave : celle-ci planait depuis quelques temps déjà sur sa santé mais,
vu les circonstances, elle me parut cette fois vraiment indiscutable.
Chapitre 27
Grisélidis face à la mort
Peu de temps après notre retour de Paris, un après-midi, Grisélidis sonna à ma porte comme
d’ordinaire : je fus pétrifiée par le spectacle que j’avais sous les yeux. Son tour de taille avait
en quelques jours plus que doublé. Gonflé et tendu comme une énorme baudruche, son ventre
avait pris des proportions effrayantes. Alarmée par ce symptôme qu’il n’était plus possible
d’ignorer, comme j’avais déjà maintes fois engagé mon amie à consulter mais m’étais heurtée
à des faux-fuyants systématiques, je réagis cette fois très fermement. Je pris immédiatement
rendez-vous avec mon médecin traitant, pensant aussitôt qu’elle faisait de l’ascite,
épanchement liquidien intra-abdominal qui s’accumule dans l'abdomen, plus précisément
dans la cavité péritonéale. Souvent causé par une cirrhose (maladie sévère entraînée par une
fibrose hépatique), l’ascite peut aussi être causée par un cancer métastatique. Hélas, j’avais vu
juste… Les examens médicaux révélèrent un cancer avec métastases.
Toujours étreinte par cette fureur singulière qui lui appartenait en toute chose, Grisélidis allait
tenter l’impossible pour s’en sortir. Elle se débattrait contre ce cancer dont elle avait
probablement suspecté l’existence depuis quelque temps, sans toutefois vouloir ni pouvoir le
nommer, ni même lui concéder un quelconque droit de cité. Face à cet ennemi qui gagnait du
terrain, elle jouerait le tout pour le tout. Avant d’accepter les protocoles de chimiothérapies
conseillés, elle fit des jeûnes à base de cures de raisin, enchaîna les courses à Saint Julien-en-
Genevois pour consulter un vétérinaire qui pratiquait sur les humains comme sur les animaux
ses soi-disant dons de guérisseur. Elle reçut des massages non professionnels appliqués par
d’obscurs rebouteux, ingurgita des potions plus ou moins miraculeuses, incertaines et
présumées magiques…. Un de ses breuvages préférés était le Noni, fruit tropical aux soi-
disant 101 vertus : elle était certaine qu’il la guérirait. Tous les ans ou presque, un nouveau
produit anticancéreux miraculeux est promu par des escrocs ou des naïfs. Après le cartilage
de requin, les produits Beljanski ou Solomidès, le jus de Noni tient la corde. Pures fadaises
jusqu'à preuve du contraire ! Malheureusement, "dans le doute", de nombreuses familles
désespérées y laissent beaucoup d'argent. Pour Grisélidis, tout était bon à prendre jusqu’au
moment où elle dut se rendre à l’évidence. Absorbée par l’engrenage médical qu’elle haïssait
tant, de scanner en chimiothérapie, d’opération en opération, elle s’accrocherait à la vie avec
cette rage, cette révolte, cet amour de l’existence foisonnante qui l’avaient toujours poussée
en avant et tenue debout envers et contre tout.
Cette femme, qui toute sa vie n’avait juré que par les médecines alternatives, allait
s’engouffrer sans limites, jusqu’à la dernière extrémité avant le gong fatal, dans des
protocoles de chimiothérapies expérimentales effroyablement douloureuses et mutilantes.
Arriva l’instant où les médecins de l’hôpital cantonal, face à cette malade en phase terminale,
toujours aussi endurcie et insoumise, affrontèrent la dure réalité. Les « HUG - Hôpitaux
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