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               insupportable, voilà l’Oiseau rare. On ne la changera pas. »  Dans un autre courrier, avec
               tendresse, elle parle d’« un de ces personnages un peu (très légèrement) sur le retour, laminés
               par  la  vie,  et  toujours  debout,  à  grande  gueule  et  esprit  fin,  âme  baignée  de  nostalgie  et
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               toujours combative. »
               Le 17 mai 2002, à la veille d’une opération, Grisélidis rédigeait ses dernières volontés : « Je
               désigne comme représentants, chargés de faire respecter ma volonté au cas où je ne serais plus
               capable de discernement :

                   1)  Mon fils aîné Igor Schimek

                   2)  Mon amie Mme Peggy Guex.

               Une année plus tard, elle me dédiait, à moi qu’elle appelait toujours Diane, son recueil de
               poèmes A feu et à sang : « A Diane, Mon Garde du Cœur A Contre-Corps. »

               Tant qu’elle put se déplacer, Grisélidis considéra mon lieu de vie comme un havre, une terre
               promise qu’elle rejoignait à tout petits pas. En août 2004, confortablement installée dans ma
               cuisine, elle écrivait : « Je suis ici (depuis des années, et même dans ses trois appartements
               précédents) comme chez moi, devant un verre de rosé romand bien frais et une coupelle de
               chips  au  paprika,  pendant  qu’un  coquelet  rôtit  au  four  accompagné  de  pommes  de  terre
               nouvelles.
               Cet appartement clair, harmonieux, orné de meubles de style et de tableaux peints par elle,
               propre,  lisse  et  aéré  (enfin  le  contraire  de  chez  moi)  est  habité  également  par  deux  petits
               chiens  merveilleux  (…)  et  par  une  chatte  blanche  divinement  aristocratique,  arrachée  à  la
               misère des rues d’Italie du Sud. De temps en temps, je viens ici le matin sonner à la porte, où
               après nous être réveillées de deux sublimes petits cafés sortis d’une machine moderne dont je
               n’aurai jamais la pareille chez moi (je ne saurais pas m’en servir), nous partons en promenade
               avec les chiens (…) nous aérer le corps et l’âme dans ce qu’on peut encore trouver de verdure
               et d’espaces naturels à Genève, non encore assassinés par le béton et salis par les déjections,
               le sang moisi, l’urine pourrie des toxicomanes autochtones et surtout étrangers qui pullulent
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               comme mouches à merde. »
               Deux mois avant sa mort, elle m’invita à l’accompagner, proposition que je refusai, n’étant
               pas d’accord pour qu’elle voyage dans un état d’extrême faiblesse et qu’elle me reste dans les
               bras.  Escortée  d’une  perfusion  reliée  à  un  cathéter,  toujours  animée  de  ce  prodigieux,
               mystérieux  feu  sacré,  Grisélidis  se  traîna  seule  telle  une  moribonde  à  Paris,  invitée  à
               l'émission littéraire « Le Bateau Livre ». Cette émission était présentée à bord d'une péniche
               par Frédéric Ferney. Présents ce jour-là, Grisélidis Réal, Christian Lacroix, Roger Planchon et
               Frédéric Mitterrand. Ce voyage harassant eut raison de ses dernières forces. Juste avant son
               départ, elle me remit une petite carte avec sa photo où il était écrit : « Pour ma Diane chérie,
               de sa vieille sorcière bien-aimée Grisélidis, Genève mars 2005 (75ans ½) »
               A part atténuer ses souffrances, la médecine ne pouvait plus rien pour elle. Le 15 avril, elle
               entra au CESCO, centre de soins palliatifs situé à Bellerive, au cœur d’une nature luxuriante,
               apaisante, propice au repos, à la réflexion et à la méditation. Entre deux nausées, entre deux
               prises  de  morphine,  entre  deux  convulsions,  elle  m’appelait  sans  cesse,  je  l’écoutais  et
               l’entourais sans relâche du mieux que je pouvais. Six semaines plus tard, elle s'y éteindrait.
               Le 28 mai, journée décisive, Grisélidis sombra dans un coma qui la reliait à cette mort dont
               elle écrivait, en 2002 : « Cette Garce ne me lâchera plus, je le sens. Je l'emmerde, tout en la

               51  REAL G ; Les Sphinx, Verticales/Phase deux, Paris 2006 p. 284, 310.
               52  Ibidem p. 207.
               53  REAL G ; Les Sphinx, Verticales/Phase deux, Paris 2006 pp. 207 – 208.
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