Page 119 - La pratique spirituelle
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l’attention vers le dehors, et en retardant d’autant le moment   La sensation a la particularité de ne pas pouvoir être pensée,
 où elle se retourne vers elle-même.  puisque la pensée de la sensation n’est plus la sensation. Elle
            a ainsi la vertu de ramener l’écoute à l’écoute, support dans
 La perception des sensations du corps est une voie puissante,   lequel la sensation s’inscrit.
 plus encore, que celle des mouvements du mental. Mais peut-
 être cela dépend-il de chacun...  J’aurais presque envie de rajouter par rapport à cet ancrage du
 Certains êtres peuvent avoir plus de facilité à l’observation   corps : « reste au contact du corps, sans te poser de question, et
 du mental qu’à celle des sensations. L’observation du men-  aussi souvent que possible, le reste suivra... »
 tal doit être renforcée par le questionnement sur la nature du   Oui, et continuer d’explorer la perspective de « la sensa-
 « qui ? », afin d’affirmer la distanciation d’avec les productions   tion est en moi », en lieu et place de celle de « je suis dans la
 mentales et l’établissement dans la conscience-témoin. L’écoute   sensation ».
 des sensations pointe vers la même réalité, à condition que les
 sensations soient écoutées, au point où elles se diluent et se dis-  *
 solvent, sans résistance, dans l’écoute, comme le fait le sirop de   *  *
 fruits rouges plongé dans la vacuité de l’eau, métaphore de la   Il y a des instants où les productions mentales sont vécues comme
 conscience pure que vous êtes.  extérieures, sans que je puisse être emporté par elles. Dans
            d’autres moments, je peux me retrouver « bêtement » au cœur
 L’écoute des sensations permet d’éviter la distraction.  de la tempête. Et le moyen le plus puissant pour se recadrer est
 Le mental tend en effet à s’agiter dans tous les sens, inven-  alors l’écoute du corps. Lorsque je dis bêtement, c’est parce qu’il
 tant constamment de nouvelles stratégies pour retarder sa   me semble que, dans la tempête, je n’ai alors plus de lucidité
 mort. La sensation évite cette dispersion, n’ayant d’existence   dans ma vie.
 qu’à l’instant où elle est perçue.  Oui, la lucidité est ce qui voit la dispersion dans les pro-
            jections. Elle est en dehors de la projection, et est, en réalité,
 Par cet amoindrissement de la distraction, le mental, ne pou-  toujours présente, même pendant que la projection se déroule.
 vant plus s’accrocher, perd peu à peu pied. Ne reste alors pro-
 gressivement que la conscience sans objet.  Préconiseriez-vous, le matin au réveil, afin de rester dans la
 Oui, elle est le résidu ultime, cela qui reste, lorsque dispa-  réalité, de faire quelques « exercices » de conscience du corps,
 raît tout ce qu’elle n’est pas.  et de les renouveler à certains moments de la journée pour nous
            ancrer dans la présence du corps ?
 En somme, la perception corporelle est essentielle. Elle est une   Oui, bien sûr, il peut être précieux, le matin au réveil, et
 aide, même une pratique permettant de « désencombrer la   dans la soirée, de prendre un temps pour déposer son corps et
 place ». Désencombrement qui se fait naturellement, spontané-  déposer son mental, et permettre à l’écoute de s’affirmer, dans sa
 ment, lorsqu’on demeure en contact avec le corps.  plénitude et sa totalité. Corps et pensées sont contenus en elle.



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