Page 159 - La pratique spirituelle
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Ta nature d’être est sans préférence. Elle coiffe et trans-  La perspective est juste. C’est ainsi que meurt le vieil
 cende tout objet, incluant les états divers du corps et du men-  homme.
 tal. C’est à partir de cette nature transcendante que sont
 objectivées la pensée et son absence. La négligence des deux   Vous dites de voir le personnage, la réaction du personnage
 ne laisse subsister que la réalité elle-même, qui ne peut être   le plus tôt possible. Mais concrètement comment s’y prendre ?
 négligée, étant ce qui est, avant toute manifestation.  Puis-je me dire : « Tiens, il y a de l’agacement, de l’impatience »,
            ou bien alors encore, me parler à la troisième personne du sin-
 J’ai l’impression que voir mon moi turbulent ne « suffit » pas.   gulier, en disant « Tiens, elle est agacée, impatiente », ou encore,
 Il se peut qu’en me forçant, j’arrive à me décoller des identifi-  à la première personne du singulier : « Tiens, je suis agacée,
 cations et à entrer dans ce calme et cette paix. Est-ce qu’on peut   impatiente ». Selon vous, laquelle de ces propositions est la plus
 procéder ainsi, ou tout effort est-il déconseillé ?  juste pour amener une distanciation d’avec les phénomènes per-
 À l’instant où l’agitation est vue, en tant qu’objet, il y a   çus, étant encore très identifiée au corps-mental ?
 distanciation. Ce que tu es, dans sa nature propre, ne lui est   Voyez déjà que, derrière tout désir d’éliminer la réaction,
 plus collé, identifié, mais repose dans sa liberté intrinsèque. La   se cache un refus, une non-acceptation de la réaction telle
 vision se dégage de ce qui est vu, et s’habite alors elle-même.  qu’elle est. Une fois ce refus démasqué, il convient de mainte-
            nir une écoute globale du corps et du mental. Dans le corps,
 Enfin, la question « Qui suis-je ? » (que je décline aussi en « Où   est objectivée la réaction, sous forme d’une défense, d’une ten-
 est le moi ? ») apporte une sorte de transparence. « Paul », avec   sion ; dans le mental, sous la forme d’une opinion prise pour
 son histoire, devient plus transparent. Cette dissolution est-elle   la réalité. Dès qu’il y a objectivation impersonnelle, il y a dis-
 le sens de la question « Qui suis-je ? » ?  tanciation, sans qu’il y ait besoin d’un effort de distanciation.
 Oui, cette question brise la structure égotique concep-  C’est ainsi que le Soi se libère des projections qu’il a lui-même
 tuelle, la fissure, la fragmente, pour finalement la dissoudre.   créées. Toute formulation qui vous ramène à l’essence de vous-
 Ne reste que la réponse d’où la question a jailli, qui est ce que   même est valide. Laissez ensuite de côté la formulation, pour
 tu es, avant que ne naisse l’idéation.  rester en unité avec ce qu’elle a éveillé en vous.

 *          Est-ce que, petit à petit, à force de « pratiquer » ainsi, la dis-
 *  *       tanciation peut s’effectuer et révéler la vraie nature de la

 Le vide, silence, la stabilité, l’absence du temps, commencent á   conscience, toujours libre de l’objet ?
 s’imposer naturellement, même si l’agitation peut ressurgir et   Il n’y a pas de garantie de résultat. Ce que vous êtes, est,
 reste en tache de fond en temps calme. Il y a une ancienne façon   quelle que soit la situation. Vous ne pouvez pratiquer le fait
 de fonctionner qui devient désuète et qui commence à s’effacer   d’être. Il se révèle simplement, sans qu’il soit possible d’en cal-
 et une nouvelle, qui est l’inconnu le plus total. Je suis en train   culer la révélation. Le constat et l’objectivation vous délivrent
 d’apprendre à accueillir l’action et à quitter la réaction.  de la fascination exercée par la projection. Lorsque cette



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