Page 459 - Traité de chimie thérapeutique 6 Médicaments antitumoraux
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              1.4.  PRODROGUES ET IMMUNOCONJUGUÉS
              Les premières méthodes utilisées pour accéder à des conjugués de la daunorubicine et
             de la doxorubicine ont consisté soit à établir une liaison amide entre l'amine de la dau-
             nosamine et une fonction acide de l'anticorps soit à créer une di-imine en intercalant un
             résidu glutaraldéhyde entre la fonction amine de l'amino-sucre et des résidus lysyle de
             l'anticorps, soit encore à accéder à une double base de Schiff, après clivage oxydatif de
              la liaison CO-C'' de la daunosamine, qui pourra être réduite par le borohydrure de
             sodium. Ces divers conjugués se sont révélés peu efficaces in vivo.
               D'autre conjugués incorporant des fonctions hydrazone ou oxime à partir du carbonyle
             en 13 de l'anthracycline et comportant une liaison disulfure ou thioéther du côté anticorps
             (BR64 ou BR96) n'ont manifesté d'activité qu'à des concentrations toxiques. Les tentati-
             ves visant à élever le rapport anthracycline/anticorps, par intercalation d'un polymère ami-
             nodextran ou de bras ramifiés ou encore en utilisant les résidus galactose de l'anticorps
             monoclonal spécifique anticarcinoembryonnaire (ACE), n'ont pas été plus fructueuses.
               La confirmation de l'intérêt thérapeutique d'anthracyclines de deuxième génération à
             cytotoxicité 100 à 1 000 fois plus élevée que celle de la doxorubicine a permis d'espérer
             l'accès à des immunoconjugués dont l'anticorps conserverait sa spécificité de recon-
             naissance antigénique et qui seraient efficaces in vivo bien que ne possédant que trois
             à quatre molécules d'antitumoral par anticorps. La forte cytotoxicité des diverses mor-
             pholinoanthracyclines a justifié l'accès à des immunoconjugués dits de deuxième géné-
             ration. Ainsi la morpholinodoxorubicine (vide infra) a été couplée à l'anticorps monoclonal
             LM 609, dirigé contre le récepteur vitronectine op4 présent à la surface des cellules du
             mélanome humain. Le bras espaceur (acido-labile) était notamment constitué par une
             propionylhydrazone reliant le C 13  de l'anthracycline et une fonction amine des résidus
             lysyle de l'anticorps monoclonal. Cependant, la trop grande instabilité de la majeure
             partie de ces prodrogues n'a pas permis leur utilisation thérapeutique.
               Une approche plus prometteuse visant à améliorer la sélectivité d'action consiste à
             utiliser une prodrogue qui peut être activée in situ par voie enzymatique. Dans la stratégie
             dénommée ADEPT (Antibody Dlrected Enzyme Prodrug Therapy), l'enzyme est préala-
             blement véhiculée spécifiquement jusqu'à la cellule cancéreuse sous forme d'un con-
             jugué enzyme-anticorps monoclonal.
               Parmi les prodrogues étudiées pour I'ADEPT figurent celles utilisant:
             - la phosphatase alcaline d'intestin de Veau et comportant une fonction ester phospho-
               rique au niveau de l'alcool primaire C 14  ;
             - les 13-lactamases couplées à des anticorps, hydrolysant une liaison carbamate entre
               l'amine en 3' du sucre et la fonction alcool primaire allylique en 3 de céphalosporines
               diversement substituées en 7 ;
             - les a et B-galactosidases circulantes, libérant la doxorubicine de prodrogues à fonc-
               tion carbamate en 3' ou ester en 14. L'intercalation de bras espaceurs auto-immolants
               permet notamment de moduler la cinétique d'hydrolyse.
               Les chercheurs de l'Institut Curie en collaboration avec les laboratoires HMR (BOSSET
             et a/.) ont élaboré des prodrogues glucuronylées à trois compartiments, qui ont été expé-
             rimentées vis-à-vis de la protéine de fusion associant l'anticorps anti-CEA humanisé (BW
             431) et la [-glucuronidase. La combinaison protéine de fusion-prodrogue HMR 1826,
             administrée à des souris nude portant des xénogreffes de tumeurs stomacales ou de
             cancers du côlon, permet d'obtenir des réponses supérieures à celles observées lors du
             traitement classique par la doxorubicine, avec une grande sélectivité d'action : concen-
             tration au niveau de la tumeur 4 à 12fois supérieure à celle obtenue après injection clas-
             sique de doxorubicine, tandis que cette concentration est 5 fois moins élevée dans les
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