Page 526 - Traité de chimie thérapeutique 6 Médicaments antitumoraux
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484 MEDICAMENTS INDUISANT OUSTABILISANTDES COUPURES DE L'ADN
6. MÉCANISME D'ACTION
• Interactions avec le complexe ADN/topo-isomérase Il
Selon un mécanisme classiquement reconnu pour les poisons de topo-isomérase Il,
le bisantrène présente une affinité particulière pour l'interface [acide nucléique/protéine] :
il agit en piégeant le complexe de clivage et induit ainsi une coupure irréversible de l'ADN
par stabilisation de ce complexe (cf. chapitre 13).
• Sélectivité de séquence
Le profil de reconnaissance des bases nucléotidiques par le bisantrène est différent
de celui des autres agents intercalants. À titre d'exemple, le tableau 3 effectue une com-
paraison de ce composé avec une anthracycline (doxorubicine) et une anthraquinone
(mitoxantrone), en fonction des bases reconnues par chacune de ces substances, au
voisinage immédiat du site de coupure. Par convention, les chiffres négatifs désignent
les bases situées en amont (c'est-à-dire en 3') de la coupure, alors que les chiffres positifs
sont attribués aux bases situées en aval (5') de ce même site.
Tableau 3 : Séquences nucléotidiques reconnues par le bisantrène et deux antitumo-
raux apparentés, à structure polycyclique plane (CAPRANIcO et al, 1997)
position et nature des bases
site de coupure'
composés l
-2 - 1 +1 +2
bisantrène T A
doxorubicine T A
mitoxantrone C/T G
1. Par souci de clarté, le deuxième site de coupure caractéristique de la topo-isomérase Il n'est pas re-
présenté. Les bases indiquées en caractère gras sont celles préférentiellement reconnues par l'agent
antitumoral ; elles déterminent la spécificité des poisons de topo-isomérases Il.
Le comportement du bisantrène vis-à-vis du complexe [ADN/topo-isomérase II] dit-
fère nettement de celui des poisons de spécificité -1, tels que la doxorubicine ou la
mitoxantrone. Pour le bisantrène (classé parmi les agents de spécificité +1), deux inte-
ractions correspondant à deux affinités distinctes ont été identifiées :
d'une part, avec une adénine en position +1, qui est la base prioritairement reconnue
(c'est-à-dire avec la plus forte affinité) ;
d'autre part, avec une thymine en position -1 (interaction de plus faible intensité).
L'ancrage très particulier du bisantrène de part et d'autre du site de coupure s'expli-
que par des facteurs conformationnels relatifs aux chaînes latérales azotées :
leur disposition privilégiée, de type trans, a été établie par diffraction aux RX;
leurtrès grande flexibilité, mesurée à l'aide de calculs théoriques, permet d'obtenir un
grand nombre de conformations compatibles avec une bonne adaptation de l'ensem-
ble de la molécule dans la structure tridimensionnelle de I'ADN (CAPRANcO et al.,
1998).
En accord avec ces résultats, des études par RMN ont suggéré que les deux motifs
latéraux du bisantrène se logeaient respectivement dans le petit et le grand sillon de
l'ADN.