Page 268 - 266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd
P. 268

NEURONAISSANCE
                    Quant à la neurosagesse, je crois en avoir appris une leçon essen‑
                  tielle : l’augmentation de l’homme sain doit se faire de l’intérieur
                  vers l’extérieur et non l’inverse. Sauf quand sa santé est en danger,
                  l’homme ne devrait pas introduire en son cerveau des technologies
                  qu’il a créées dans le seul but de s’augmenter, car le cerveau, le
                  neurone, la cellule gliale sont encore aujourd’hui des technologies
                  supérieures à toutes celles qu’il peut leur confronter. Deux cent
                  mille ans de rusticité à l’épreuve d’un monde exigeant : quelle tech‑
                  nologie humaine a‑ t‑elle fait ses preuves aussi longtemps ?
                    Je sais que cette sagesse ne sera pas respectée, parce que l’homme
                  préfère se soumettre au « règne de la quantité » –  en s’enfer‑
                  mant dans des métriques obtuses (sur l’intelligence, sur la per‑
                  formance…) – que de faire l’effort de se connaître lui‑ même. Le
                  dopage athlétique le montre bien. Cependant, chaque fois qu’il
                  s’enferme dans l’image qu’il a de lui‑ même, il y perd, car il n’est pas
                  une création humaine. Les modèles que nous avons de l’humanité,
                  dans ses capacités cognitives par exemple, dans sa nature sociale,
                  sont encore incomplets et étriqués, et de même qu’il serait stupide
                  de limiter l’intelligence humaine au facteur G ou l’excellence aca‑
                  démique à l’indice H (l’indice principal de la pseudoscience biblio‑
                  métrique), on ne doit pas enfermer l’homme, qui est intemporel,
                  dans la technologie, qui est fugace.
                    « Homme multiplié », ce terme résume le potentiel de la neuro‑
                  nique. Si le cœur est malade de son ego, il faut craindre sa multipli‑
                  cation. Si le cœur est sain et sage, il faut désirer sa multiplication. De
                  l’homme de Vitruve à l’homme neuro‑ augmenté, la même question
                  demeure : est‑ ce encore et toujours l’homme que l’on met au cœur
                  des leviers ? C’est parce qu’un grand nombre d’immatures ont confié
                                                                            e
                  les leviers de l’industrie à un petit nombre de fous que le xx  siècle
                  aura été aussi atroce. Quant au xxi , il sera sage ou ne sera pas.
                                                    e
                    Mais en assumant la sagesse, la meilleure augmentation de l’homme
                  se fera de l’intérieur vers l’extérieur. C’est cela, la leçon du neuromi‑
                  métisme : partez du cerveau, et donnez‑ lui du levier, facilitez‑ lui la
                  tâche, asservissez‑ lui vos systèmes, de sorte qu’il puisse être intraitable
                  avec eux. N’est‑ il pas ridicule que, pendant des décennies, certains
                  informaticiens aient pu mépriser l’interface homme‑ machine au titre
                  qu’il y avait de la noblesse à soumettre le cerveau à l’ordinateur ? La
                  bonne augmentation de l’homme sera celle qui traitera nos nerfs


                                                                               267








         266687ILJ_CERVEAU_cs6_pc.indd   267                                     02/09/2016   14:39:05
   263   264   265   266   267   268   269   270   271   272   273