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NEURONAISSANCE
Quant à la neurosagesse, je crois en avoir appris une leçon essen‑
tielle : l’augmentation de l’homme sain doit se faire de l’intérieur
vers l’extérieur et non l’inverse. Sauf quand sa santé est en danger,
l’homme ne devrait pas introduire en son cerveau des technologies
qu’il a créées dans le seul but de s’augmenter, car le cerveau, le
neurone, la cellule gliale sont encore aujourd’hui des technologies
supérieures à toutes celles qu’il peut leur confronter. Deux cent
mille ans de rusticité à l’épreuve d’un monde exigeant : quelle tech‑
nologie humaine a‑ t‑elle fait ses preuves aussi longtemps ?
Je sais que cette sagesse ne sera pas respectée, parce que l’homme
préfère se soumettre au « règne de la quantité » – en s’enfer‑
mant dans des métriques obtuses (sur l’intelligence, sur la per‑
formance…) – que de faire l’effort de se connaître lui‑ même. Le
dopage athlétique le montre bien. Cependant, chaque fois qu’il
s’enferme dans l’image qu’il a de lui‑ même, il y perd, car il n’est pas
une création humaine. Les modèles que nous avons de l’humanité,
dans ses capacités cognitives par exemple, dans sa nature sociale,
sont encore incomplets et étriqués, et de même qu’il serait stupide
de limiter l’intelligence humaine au facteur G ou l’excellence aca‑
démique à l’indice H (l’indice principal de la pseudoscience biblio‑
métrique), on ne doit pas enfermer l’homme, qui est intemporel,
dans la technologie, qui est fugace.
« Homme multiplié », ce terme résume le potentiel de la neuro‑
nique. Si le cœur est malade de son ego, il faut craindre sa multipli‑
cation. Si le cœur est sain et sage, il faut désirer sa multiplication. De
l’homme de Vitruve à l’homme neuro‑ augmenté, la même question
demeure : est‑ ce encore et toujours l’homme que l’on met au cœur
des leviers ? C’est parce qu’un grand nombre d’immatures ont confié
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les leviers de l’industrie à un petit nombre de fous que le xx siècle
aura été aussi atroce. Quant au xxi , il sera sage ou ne sera pas.
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Mais en assumant la sagesse, la meilleure augmentation de l’homme
se fera de l’intérieur vers l’extérieur. C’est cela, la leçon du neuromi‑
métisme : partez du cerveau, et donnez‑ lui du levier, facilitez‑ lui la
tâche, asservissez‑ lui vos systèmes, de sorte qu’il puisse être intraitable
avec eux. N’est‑ il pas ridicule que, pendant des décennies, certains
informaticiens aient pu mépriser l’interface homme‑ machine au titre
qu’il y avait de la noblesse à soumettre le cerveau à l’ordinateur ? La
bonne augmentation de l’homme sera celle qui traitera nos nerfs
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