Page 19 - Fleurs de pavé
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Claude Cotard – Fleurs de Pavé.
Je tente de maîtriser le froid à l'aide de papier journal
sous mes vêtements durant la nuit. C'est un truc bien
connu dans le milieu des SDF, comme le carton.
Mais le plus insupportable est ce sentiment violent de
honte. C'est un calvaire très personnel que je vis.
Jusqu'au petit matin. Je compte chaque minute.
Les secondes défilent et me transpercent comme
des chélicères aiguisées qui ne me font pas oublier la peur
cependant.
J'ai de plus en plus peur. Peur de l'opacité de la nuit, de
ces hommes qui se transforment, la nuit venue, en loups.
Je suis en permanence sur le qui-vive, à l'affût du
moindre geste et du moindre bruit.
J'essaie de ne plus dormir que les yeux ouverts, mais ce
n'est pas simple. J'ai appris à dormir sur une oreille et à
détecter très vite les bruits de pas, le moindre murmure,
le moindre grouillement suspect.
Oh j'ai su m'adapter à mon nouvel environnement.
Depuis le temps, j'ai appris à ne pas bouger, à ne pas
ronfler pour ne pas attirer l'attention, à éviter les lieux
trop fréquentés, tout en évitant les lieux trop isolés.
Tous les magasins sont fermés. Derrière moi, je le sens, je
l'entends, il y a des gens qui parlent fort. Je ne veux pas
bouger de peur de me faire remarquer. Ne pas me
déplacer, de peur de tomber sur des déjanté, et ça ne
manque pas dans la rue entre les alcooliques, les dogués
et les psychopathes.
Les passants me frôlent, méprisants comme si
j'étais un vieux sac poubelle. Je sursaute. Combien de fois
ne me suis-je pas pris un coup de pied ? " Dégage d'ici
toi ! ".
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