Page 23 - Fleurs de pavé
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Claude Cotard – Fleurs de Pavé.
s'occupe d'elle, mais elle non plus ne descend jamais ici,
c'est une cave oubliée du temps, comme la petite vieille.
Je le sais parce que dans un carton ouvert traînait de
vieilles photos, des papiers à son nom et qu'un jour j'ai
voulu discrètement savoir qui était madame Cohen.
C'est une veuve, une vieille juive qui a connu Mauthausen
pendant la guerre et en est revenue. Une ancienne
couturière.
Son mari est décédé depuis plus de 10 ans. Elle vit donc
seule, dans ce vieil immeuble, du quartier des halles, rue
des petits carreaux.
C'est elle qui m'héberge dans sa cave, à son insu.
Depuis trois mois que je suis là, je n'ai jamais vu personne
descendre dans mon modeste squat. Il est vrai que j'ai
installé une chaîne avec un gros cadenas à la porte de
cette cave et personne n'a jamais rien remarqué.
C'est mon palace, sans eau, sans électricité, mais au
calme, tranquille, silencieux, avec vue sur la rue, via un
minuscule vasistas.
Pendant quelque temps, j'avais un compagnon de
rue qui voulait aussi s'en sortir, mais au bout de huit
jours, il a abandonné. Il a préféré retrouver ses copains
place des Vosges, et surtout l'alcool.
Silhouette fragile, flagellée par la pluie, crucifiée par le
regard gêné des passants ; allongé à même le sol, il était
là, solitaire, désemparé, comme abandonné, transparent,
mort, il avait 16 ans.
Le soleil se lève enfin et mon soulagement est
immense. Je peux recommencer à bouger. Mes muscles
sont des blocs de béton. Je suis rempli de courbatures.
La bouche pâteuse, pourtant je ne bois pas.
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