Page 26 - Fleurs de pavé
P. 26
Claude Cotard – Fleurs de Pavé.
pas comme eux, tu n'es pas tombé si bas, pas toi.
Tu n'as rien à voir avec ces gens-là, crasseux, hirsute,
parfois bourrés, la voix et la gueule cassée, à gueuler,
s'invectiver entre eux parfois, quand ils n'en viennent pas
aux mains. Toi tu es un pacifiste. Cool man !
Pas étonnant si tant de monde préfère dormir dehors.
Et tu passes rapidement devant l'entrée sans t'attarder,
quand tu ne changes pas de trottoir carrément. Tu ne
veux pas qu'on t'amalgame à ces clochards.
D'accord c'est le folklore parisien, mais tu n'es pas
Gavroche, et pour cause, on sait comment il a fini !
Il faut s'y reprendre maintes fois avant d'oser franchir le
pas, et la timidité n'a rien à voir là-dedans.
Pour se mêler à la faune qui gravite autour des asiles de
nuit, il faut accepter l'idée que tu en fais toi aussi partie, et
ça, ce n'est pas un truc qu'on accepte facilement.
On a encore un reste de fierté, enfin encore un peu malgré
les protestations de ta peau frigorifiée, de ton estomac, de
tes pieds fatigués, usés.
De toute façon, il faut s'inscrire, parfois dès 6 H le matin,
pour avoir une chance de trouver une place.
Les formalités sont réduites au minimum : nom,
prénom, âge et pièce d'identité. Quand tu ne dois pas
passer avant devant une assistante sociale à qui tu devras
raconter ton histoire pour la millième fois. Une assistante
sociale qui, la plupart du temps, t'écoutera d'une oreille
distraite, très distraite. Il est clair qu'elle n'en a rien à
faire de ton histoire et que tu l'emm plus qu'autre chose.
Elle serait mieux devant la machine à café à rigoler avec
les copines.
26