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Angers – Maine et Loire – 15 Juin – 19h33


           Le  couple  était  littéralement  décomposé.  La  souffrance  se  dessinait
        clairement sur leurs visages harassés et en larmes. Trois heures auparavant ils
        avaient assisté, impuissants, au décès de leur fils aîné de douze ans, victime
        comme tant d’autres de la ricine. La femme était celle qui éprouvait le plus de
        culpabilité en ayant confectionné elle-même le sandwich au jambon qu’il lui
        avait réclamé afin d’aller jouer au stade avec ses copains tout l’après-midi. Le
        poison dont tout le monde parlait à la télévision ou à la radio ne pouvait, dans
        son esprit, qu’avoir contaminé les produits dans les rayons des supermarchés
        où  elle  ne  se  rendait  jamais.  Fille,  petite-fille  de  petits  épiciers  locaux  elle
        n’avait pas suivie la lignée familiale bien que par tradition elle avait toujours
        fait le choix de faire travailler les commerçants de son quartier. Le jambon
        quant à lui provenait de la petite boucherie à l’angle de sa rue sans histoire,
        sans conflit, sans racisme. Tant son mari qu’elle-même avaient tout d’abord
        éprouvé  l’envie  de  mourir  à  leur  tour.  En  sachant  toutefois  que  cette
        délivrance face à leur douleur leur était interdite. En ce moment même, leurs
        deux petites jumelles de cinq ans les attendaient sous la surveillance d’une
        voisine qui avait immédiatement proposé ses services en apprenant l’horrible
        nouvelle de la contamination du grand frère. A la sortie de l’hôpital le couple
        avait erré longuement dans le parc, le cerveau enserré dans un étau dont les
        mâchoires leur tenaillaient les chairs et l’esprit. Puis le mari d’un geste tendre
        avait pris la main de sa femme.
        -  Nous  devons  maintenant  rentrer  à  l’appartement.  Julie  et  Juliette  nous
        attendent sans doute et elles ont besoin de nous.
           Ce  à  quoi  elle  n’avait  rien  répondu,  les  lèvres  comme  soudées.  Se
        contentant tel le pantin qu’elle était devenue, de prendre la direction de leur
        voiture stationnée dans le parking de l’enceinte de l’hôpital. Elle ne put se
        retourner  une  dernière  fois  en  direction  du  bâtiment  où  se  trouvait
        maintenant le corps sans vie de leur fils. Cette pensée lui était insupportable.
           Le mari lui ouvrit la portière passager et une fois qu’elle fut assise sur le
        siège la sangla avec la ceinture de sécurité en constatant son impuissance à
        accomplir le moindre geste sans son assistance. Puis sans un mot il prit le

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