Page 157 - ANGOISSE
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Angers – Maine et Loire – 15 Juin – 19h33
Le couple était littéralement décomposé. La souffrance se dessinait
clairement sur leurs visages harassés et en larmes. Trois heures auparavant ils
avaient assisté, impuissants, au décès de leur fils aîné de douze ans, victime
comme tant d’autres de la ricine. La femme était celle qui éprouvait le plus de
culpabilité en ayant confectionné elle-même le sandwich au jambon qu’il lui
avait réclamé afin d’aller jouer au stade avec ses copains tout l’après-midi. Le
poison dont tout le monde parlait à la télévision ou à la radio ne pouvait, dans
son esprit, qu’avoir contaminé les produits dans les rayons des supermarchés
où elle ne se rendait jamais. Fille, petite-fille de petits épiciers locaux elle
n’avait pas suivie la lignée familiale bien que par tradition elle avait toujours
fait le choix de faire travailler les commerçants de son quartier. Le jambon
quant à lui provenait de la petite boucherie à l’angle de sa rue sans histoire,
sans conflit, sans racisme. Tant son mari qu’elle-même avaient tout d’abord
éprouvé l’envie de mourir à leur tour. En sachant toutefois que cette
délivrance face à leur douleur leur était interdite. En ce moment même, leurs
deux petites jumelles de cinq ans les attendaient sous la surveillance d’une
voisine qui avait immédiatement proposé ses services en apprenant l’horrible
nouvelle de la contamination du grand frère. A la sortie de l’hôpital le couple
avait erré longuement dans le parc, le cerveau enserré dans un étau dont les
mâchoires leur tenaillaient les chairs et l’esprit. Puis le mari d’un geste tendre
avait pris la main de sa femme.
- Nous devons maintenant rentrer à l’appartement. Julie et Juliette nous
attendent sans doute et elles ont besoin de nous.
Ce à quoi elle n’avait rien répondu, les lèvres comme soudées. Se
contentant tel le pantin qu’elle était devenue, de prendre la direction de leur
voiture stationnée dans le parking de l’enceinte de l’hôpital. Elle ne put se
retourner une dernière fois en direction du bâtiment où se trouvait
maintenant le corps sans vie de leur fils. Cette pensée lui était insupportable.
Le mari lui ouvrit la portière passager et une fois qu’elle fut assise sur le
siège la sangla avec la ceinture de sécurité en constatant son impuissance à
accomplir le moindre geste sans son assistance. Puis sans un mot il prit le
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