Page 26 - ANGOISSE
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main pour prendre la sienne dans un geste qui aurait pu ressembler à celui
d’une mère avec son enfant. Presque instantanément Lucas se mit à pleurer
sans pudeur et se laissa choir sur les genoux. Ses jambes ne semblaient plus
vouloir le porter mais il lui restait néanmoins encore un peu d’énergie pour
garder le buste droit. Il savait qu’à cet instant, à moins de refouler ce qu’il avait
vécu dans les tréfonds de son esprit, il devait tout à la fois expulser le fiel, la
douleur autant morale que physique mais aussi chaque séquence de l’horreur
afin que celles-ci ne puissent jamais se graver de manière inaltérable dans son
cerveau.
Anne lui parla d’une voix douce mais d’adulte à adulte, non comme à
l’enfant qu’il était devenu l’espace d’un court instant.
- Explique-nous Lucas.
- Je suis désolé pour mes propos insanes mais je tiens également à m’excuser
auprès de vous tous. J’ai eu un comportement totalement puéril et…
- Personne ne te juge, l’interrompit-elle volontairement en se rendant compte
que ses propos n’avaient d’autre objet que d’enfouir de manière consciente
ou non quelque chose ayant constitué la source de son traumatisme.
- Tu es comme moi en cinquième année. Par conséquent, si tu as bien suivi
tous tes cours, indiqua-t-elle en lui souriant, tu sais que lorsque se trouve dans
notre corps ou notre esprit un corps étranger il faut nécessairement l’expulser.
- Oui, lâcha-t-il avec un demi-sourire tandis que de grosses larmes perlaient
encore sur ses joues.
- Je prétends ne pas trop mal de connaître depuis autant d’années et je sais
que quelqu’un comme toi d’aussi stoïque et maître de ses émotions n’a pu être
ébranlé ce soir que par quelque chose de véritablement traumatisant. C’est ce
« quelque chose » qu’il faut maintenant expulser et nous sommes tous là pour
t’aider.
Lucas hésita puis d’un rapide coup d’œil circulaire à tous ses collègues
présents il ne put que constater avec une forme de certitude absolue,
qu’effectivement, personne ne le jugeait.
- Il y a des adultes parmi les malades et l’enseignement que l’on a reçu nous
permet d’éviter toute forme d’empathie susceptible de limiter certaines de
nos fonctions cognitives alors que nous devons rester concentrés sur les actes
médicaux à accomplir pour soigner notre patient. C’est ce que nous faisons
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