Page 218 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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– L’affaire que j’ai ne peut attendre à demain. Si, au lieu de raccommoder
cette roue, on la remplaçait ?
– Comment cela ?
– Vous êtes charron ?
– Sans doute, monsieur.
– Est-ce que vous n’avez pas une roue à me vendre ? Je pourrais repartir
tout de suite.
– Une roue de rechange ?
– Oui.
– Je n’ai pas une roue toute faite pour votre cabriolet. Deux roues font la
paire. Deux roues ne vont pas ensemble au hasard.
– En ce cas, vendez-moi une paire de roues.
– Monsieur, toutes les roues ne vont pas à tous les essieux.
– Essayez toujours.
– C’est inutile, monsieur. Je n’ai à vendre que des roues de charrette.
Nous sommes un petit pays ici.
– Auriez-vous un cabriolet à me louer ?
Le maître charron, du premier coup d’œil, avait reconnu que le tilbury
était une voiture de louage. Il haussa les épaules.
– Vous les arrangez bien, les cabriolets qu’on vous loue ! j’en aurais un
que je ne vous le louerais pas.
– Eh bien, à me vendre ?
– Je n’en ai pas.
– Quoi ! pas une carriole ? Je ne suis pas difficile, comme vous voyez.
– Nous sommes un petit pays. J’ai bien là sous la remise, ajouta le
charron, une vieille calèche qui est à un bourgeois de la ville qui me l’a
donnée en garde et qui s’en sert tous les trente-six du mois. Je vous la louerais
bien, qu’est-ce que cela me fait ? mais il ne faudrait pas que le bourgeois la
vît passer ; et puis, c’est une calèche, il faudrait deux chevaux.
– Je prendrai deux chevaux de poste.
– Où va monsieur ?
– À Arras.
– Et monsieur veut arriver aujourd’hui ?
– Mais oui.
– En prenant des chevaux de poste ?
– Pourquoi pas ?
– Est-il égal à monsieur d’arriver cette nuit à quatre heures du matin ?
– Non certes.
– C’est que, voyez-vous bien, il y a une chose à dire, en prenant des
chevaux de poste… – Monsieur a son passeport ?
– Oui.
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