Page 219 - Les Misérables - Tome I - Fantine
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– Eh bien, en prenant des chevaux de poste, monsieur n’arrivera pas
                  à  Arras  avant  demain.  Nous  sommes  un  chemin  de  traverse.  Les  relais
                  sont mal servis, les chevaux sont aux champs. C’est la saison des grandes
                  charrues qui commence, il faut de forts attelages, et l’on prend les chevaux
                  partout, à la poste comme ailleurs. Monsieur attendra au moins trois ou
                  quatre heures à chaque relais. Et puis on va au pas. Il y a beaucoup de côtes
                  à monter.
                     – Allons, j’irai à cheval. Dételez le cabriolet. On me vendra bien une selle
                  dans le pays.
                     – Sans doute. Mais ce cheval-ci endure-t-il la selle ?
                     – C’est vrai, vous m’y faites penser. Il ne l’endure pas.
                     – Alors…
                     – Mais je trouverai bien dans le village un cheval à louer ?
                     – Un cheval pour aller à Arras d’une traite !
                     – Oui.
                     – Il faudrait un cheval comme on n’en a pas dans nos endroits. Il faudrait
                  l’acheter d’abord, car on ne vous connaît pas. Mais ni à vendre ni à louer, ni
                  pour cinq cents francs, ni pour mille, vous ne le trouveriez pas !
                     – Comment faire ?
                     – Le mieux, là, en honnête homme, c’est que je raccommode la roue et
                  que vous remettiez votre voyage à demain.
                     – Demain il sera trop tard.
                     – Dame !
                     – N’y a-t-il pas la malle-poste qui va à Arras ? Quand passe-t-elle ?
                     – La nuit prochaine. Les deux malles font le service la nuit, celle qui
                  monte comme celle qui descend.
                     – Comment ! il vous faut une journée pour raccommoder cette roue ?
                     – Une journée, et une bonne !
                     – En mettant deux ouvriers ?
                     – En en mettant dix !
                     – Si on liait les rayons avec des cordes ?
                     – Les rayons, oui ; le moyeu, non. Et puis la jante aussi est en mauvais
                  état.
                     – Y a-t-il un loueur de voitures dans la ville ?
                     – Non.
                     – Y a-t-il un autre charron ?
                     Le garçon d’écurie et le maître charron répondirent en même temps en
                  hochant la tête.
                     – Non.
                     Il sentit une immense joie.





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