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                     Cependant, des événements tels que la catastrophe d'Al-Duniya
             éclairent l'importance de cette histoire silencieuse. Par exemple, l'enquête
             gouvernementale sur les origines de l'incendie a attesté de l'énorme popu-
             larité du cinéma à Kano. Le jour de l'incendie, le cinéma était plein à cra-
             quer, avec plus de six cents personnes présentes. La décision fatale du gérant
             de verrouiller les portes laisse supposer qu'une foule plus nombreuse tentait
             d'entrer pour voir le spectacle. L'utilisation d'un toit temporaire (et, en l'oc-
             currence, hautement  inflammable)  montre que  le propriétaire  essayait
             d'ajouter des spectacles de jour à des projections en soirée qui étaient vrai-
             semblablement déjà populaires. Ainsi, le nouveau bioscope était apparem-
             ment un passe-temps populaire et florissant.
                       Dans une récente monographie, j'ai exploré l'histoire du cinéma
             colonial dans l'empire africain de la Grande-Bretagne  . Entre 1925 et 1980,
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             les gouvernements coloniaux du Nigeria, du Kenya, de la Tanzanie, du
             Ghana, du Malawi, de la Zambie, du Zimbabwe et de l'Afrique du Sud ont
             produit des centaines de films destinés expressément au public africain. Cet
             effort ambitieux reflète la vision ambivalente de la Grande-Bretagne quant
             au rôle du cinéma dans son empire africain. Les responsables britanniques
             pensaient que les africains étaient plus « impressionnables » que les euro-
             péens,  et donc  plus  susceptibles  d'être  influencés positivement par  les
             images  de cinéma. Mais ils  craignaient également que  l'exposition  aux
             images « négatives » des films hollywoodiens n'ait une influence corrosive
             sur le « prestige blanc » et n'incite les spectateurs africains à commettre des
             actes de violence.

                       Ainsi, ces programmes de « films pour les africains » étaient une
             sorte de censure proactive, qui reflétait les craintes coloniales quant à l'in-
             fluence du média sur les sociétés africaines. S'appuyant sur ces travaux, cet
             essai tente d'approfondir l'histoire du cinéma dans l'Afrique coloniale bri-
             tannique en explorant l'histoire des salles de cinéma où les spectateurs afri-
             cains consommaient les films hollywoodiens que leurs maîtres coloniaux
             trouvaient si menaçants.
                       Ma monographie n'est pas la seule à ignorer cet aspect important
             de l'histoire urbaine. Thelma Gutsche, auteur d'une histoire exhaustive du
             cinéma en Afrique du Sud  , ne dit presque rien des salles de cinéma afri-
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             caines, alors que les bioscopes sont un élément incontournable de la vie ur-
             baine de l'Afrique australe depuis les années 1920  . De nombreuses études
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             sur la vie urbaine africaine mentionnent en passant le développement de la
             culture du bioscope. Cependant, à ce jour, seule une poignée d'universitaires
             ont fait de la salle de cinéma africaine le centre de leurs investigations  .
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