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Tom Rice / L’unité du film colonial 131
Kanno, avait été éduqué en Angleterre et avait donc, pensait-on, « acquis
les raffinements nécessaires aux engagements publics ».
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Les films des tournées révèlent une présence coloniale centrale,
tant sur le plan formel par le déploiement d'une voix off britannique que
sur le plan de la mise en scène, puisqu'ils montrent un groupe collectif afri-
cain rassemblé autour d'une seule figure britannique, regardant vers le haut
et apprenant d'elle. Cela réitère l'une des principales fonctions des tournées:
souligner le rôle fructueux joué par le leadership britannique dans le déve-
loppement social des sujets coloniaux. Dans son article sur les footballeurs
nigérians, le trimestriel de la CFU, Colonial Cinema, affirme que « l'équipe
n'a pas mis longtemps à se forger une belle réputation, non seulement de
footballeurs rapides et intelligents, mais aussi d'excellentes manières et de
comportement sportif sur le terrain ». Un éditorial du magazine ajoutait que
« l'atmosphère de sportivité qu'ils ont laissée sur leur passage était encore
plus importante que leurs capacités techniques ».
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Les tournées d'africains en Angleterre révèlent les difficultés ren-
contrées par le Ministère des Colonies pour promouvoir l’« africanisation »
auprès du public britannique. Afin de mettre en avant la « préparation » et
le « développement social » des africains, le Ministère des Colonies a défini
les africains par rapport à des idéaux et des coutumes supposées britan-
niques, en l'occurrence « l’esprit sportif » et « l'équité ». Ce processus me-
naçait l'identité africaine de ces personnages, mais inversement, les
réactions du public à la tournée réaffirmaient les « caractéristiques » afri-
caines perçues, bien que d'une manière régressive qui jouait sur les notions
établies de primitivisme et les hypothèses raciales dominantes. Par exemple,
les rapports des journaux sur la tournée des footballeurs nigérians en An-
gleterre étaient préoccupés par les différences culturelles entre les nigérians
et les joueurs anglais, notant en particulier que les nigérians jouaient pieds
nus. « Si, au cours du mois prochain, vous voyez un arrière poser un ballon
de football sur place pour un coup de pied de but et l'envoyer au-delà du
milieu du terrain avec son pied nu », commençait un article du Daily Mirror,
« il n'y a pas de raison de grimacer. Il aime le faire. En fait, il préfère que
ce soit comme ça ». Les rapports sur le groupe de la Gold Coast suggèrent
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que le public britannique était particulièrement curieux de savoir si les mu-
siciens jouaient la musique d'une partition. Un rapport affirme même que
pendant une représentation, l'équipe d'éclairage a éteint les lumières « par
curiosité et par doute ». À la surprise du public, ajoute le rapport, « le groupe
s'est arrêté brusquement de jouer ». Ces suppositions et stéréotypes étaient
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