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La génération des indépendances :
          culture cinématographique et lutte
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          anticoloniale dans les années 1950


          Odile GOERG
                          « Nous devons imiter les Français de Paris et ne pas craindre
                                                                          2
                           de verser notre sang pour notre pays et pour nos libertés » .

             et appel à la lutte, lancé à Niamey (Niger) lors de la projection de La
          C  Bataille du Rail, témoigne du changement de contexte politique. Alors
         que ce film, magnifiant la Résistance, avait été projeté à Dakar dès sa sortie
          en 1946, il suscite une vive réaction d’un militant du Rassemblement Dé-
          mocratique Africain (RDA) en 1949 et montre l’impréparation des autorités.
          Il est immédiatement interdit. Le commandant supérieur des forces terres-
          tres d’AOF, Gustave Borgnis-Desbordes, fait d’emblée le parallèle entre
          la situation décrite et le rapport colonial, ce film offrant aux colonisés un
          éventail de savoir-faire dangereux :

            « Les films de la Résistance constituent des leçons fort complètes et très
            variées sur la façon clandestine de lutter contre une autorité établie, de
            se livrer à la contrebande des armes, d’organiser des réunions secrètes,
            d’effectuer des sabotages ; il semble tout à fait contre-indiqué de donner
            de telles leçons à ceux qui nous représentent comme des occupants à
            évincer » .
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         Au cours des années qui voient la déliquescence de la domination coloniale,
         le cinéma est au cœur d’enjeux importants : les films proposent des modèles
         d’action et de réflexion alternatifs ;  les salles permettent l’expression ou-
         verte et impunie de revendications tandis que la censure symbolise l’illusion
         pour l’administration qu’un contrôle accru pourrait stopper la marche de
         l’histoire et, pour les militants, l’autoritarisme des colonisateurs. La censure
         est au cœur de compromis complexes. Ainsi, en 1958, on déplore que cer-
         tains westerns, « leçons de viol, d’assassinat et d’immoralité », soient mon-
         trés à « un public qui croit encore ce qu’il voit » . Ce n’est pas là l’avis d’un
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          administrateur colonial soucieux d’ordre public mais de Daniel Ouezzin
          Coulibaly, vice-président  du Conseil de gouvernement  de  Haute-Volta,
          préoccupé par le comportement des jeunes dans l’optique de l’indépendance
          prochaine de son pays. Cette intervention s’inscrit dans les débats animés
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