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portant sur la société post coloniale en construction – entre passéisme et
modernité, entre valeurs africaines et dépravation occidentale. Au Ghana,
l’élite, très active dans la commission de contrôle, exprime le même souci
d’éloigner des écrans populaires des images qui pourraient engendrer des
attitudes répréhensibles.
Tout au long des années 1950, le cinéma exprime les tensions entre
les publics, les autorités et les élites montantes tout en restant, fondamen-
talement, un lieu de détente. Pour les politiciens africains comme pour l’ad-
ministration, les films, sous des allures anodines de divertissement,
recouvrent bien souvent une dimension subversive qu’il faut combattre.
Alors que les territoires coloniaux s’ouvrent largement au monde par la cir-
culation accrue des populations et des informations (presse, radio, scolari-
sation), les autorités sont prises entre leur peur des désordres et de la
contestation et l’affirmation de la capacité des spectateurs à juger des conte-
nus filmiques, entre l’agitation dans les salles de cinéma et l’activisme de
groupes de pression aux objectifs divergents.
Voir au-delà des films occidentaux ?
«Quand je pense à ma propre enfance, c’est le cinéma qui me vient
en premier à l’esprit, le local même. Il symbolisait la ville plus que tout:
une ville n'était une vraie ville que si elle avait sa salle de cinéma. Enfant,
c’était pour moi le lieu où on pouvait se laisser aller dans l’imagination » .
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Aller au cinéma C’est s’évader dans un autre monde, c’est une fête
pour laquelle on s’habille avec soin, un moment de magie . Les distri-
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buteurs répondent à ce besoin d’évasion par la même gamme de films
qu’auparavant, s’adressant à un public majoritairement composé d’adoles-
cents et de jeunes hommes : films d’action et d’aventure (westerns, poli-
ciers, fantastiques), comédies et films comiques… Quels que soient les
endroits, on puise dans le même vivier, mais la communauté de langue avec
le plus grand producteur mondial, les États-Unis, facilite grandement la cir-
culation des films dans l’empire britannique où aucun doublage n’est né-
cessaire, même si l’introduction de termes d’argot ne plait guère. Les
entrepreneurs arabes ou indiens élargissent toutefois l’horizon, tout en sa-
tisfaisant la demande en films américains que le public apprécie de voir et
de revoir. Malgré une timide élévation de la scolarisation, les films à la psy-
chologie complexe posent le problème de la maîtrise de la langue coloniale.
Seule une frange limitée de la société les revendique. Même restreintes, les
images qui animent les écrans créent la sensation d’être en relation avec le
vaste monde et d’avoir accès à une culture globale, dont on reprend certains