Page 201 - Livre2_NC
P. 201

192                      FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2

             sentation des femmes.
                       Dans ma propre vie, autour du feu, j'ai grandi en entendant des
             histoires que racontaient des héroïnes et des héros de mon passé. Des his-
             toires qui étaient imprégnées des punitions et des récompenses du bien et
             du mal. Il s'agissait certainement d'une école dont l'ampleur était celle d'une
             classe de philosophie. Chaque soir, avant l'arrivée de l'électricité dans notre
             maison, j'étais assis autour du feu, absorbé, regardant ma grand-mère ridée
             qui a transmis tant de notre passé à mes sœurs et frères.

                       Contrairement à l'époque de mon père, qui n'avait à faire face
             qu'aux diktats du féodalisme, j'ai été propulsé dans les deux systèmes so-
             ciaux les plus arriérés que l'homme ait jamais créés, le colonialisme et le
             féodalisme. Avec l'introduction du cinéma, de la radio et de la télévision,
             cette contradiction s'est intensifiée.

                       À Gondar, une petite ville au centre de l'Éthiopie, j'ai été témoin
             de la lutte acharnée qui s'est déroulée entre le système de valeurs tradition-
             nel et le système de valeurs néocolonial. Quarante-quatre paroisses d'églises
             Orthodoxes traditionnelles, deux mosquées, des grands-mères et des grands-
             pères conteurs dans chaque maison, tous se tenaient fièrement, bien que
             vaincus, face à un puissant adversaire : un cinéma solitaire construit pendant
             la guerre par les Italiens. Le piège culturel le plus sous-estimé laissé en hé-
             ritage de la défaite des Italiens aux mains des patriotes éthiopiens. C'était
             un cinéma, une bombe napalm d'idées qui pouvait efficacement subjuguer
             sa cible, surtout celle de la jeune génération, ma génération.

                       Le cinéma a porté de façon subliminale le bâton de ralliement
             des traditions coloniales qui avaient historiquement pénétré dans la commu-
             nauté dans le passé par le biais de vaisseaux apparemment inoffensifs tels
             que les missionnaires, les aides, les enseignants, les travailleurs du corps de
             la paix, les Kennedy, les GI, le bubblegum, etc. Le cinéma a libéré des émis-
             saires culturels potentiels dans les images de Charlie Chaplin, Donald Duck,
             Mickey Mouse, Greta Garbo et John Wayne… Quelle force armée pour ma
             grand-mère! Pour la plupart des jeunes hommes de mon âge dans cette ville,
             le cinéma était l'endroit où aller. Cependant, mes soeurs n'y allaient pas;
             seules les prostituées mâchant du chewing-gum allaient au cinéma.

                       Après avoir acclamé John Wayne et Shirley Temple, et Tarzan
             détruisant une race entière de gens, épuisé et affamé, je revenais à la réalité,
             ma maison. En entrant dans les locaux de ma maison, j'étais confronté à ce
   196   197   198   199   200   201   202   203   204   205   206