Page 203 - Livre2_NC
P. 203

194                      FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2

             historiques et prenais un bâton qui me légitimerait en tant que conteur, une
             responsabilité à hériter de ma grand-mère. Je me suis refusé la transaction
             historique logique.
                     Pour faire court, finalement je suis devenu cinéaste, après des an-
             nées de transformation et d'auto-examen, à la recherche de mon identité et
             de mon âme perdue, j'ai commencé à raconter des histoires. Des histoires
             qui, au mieux, pouvaient dire « ne soyez pas comme moi, apprenez de mes
             erreurs ». Et c'est pourquoi je suis obsédé par mon histoire volée. Afin d'ap-
             préhender l'œil et l'oreille perdus, je devais au moins voyager mentalement
             jusqu'à la cheminée où j'avais laissé ma grand-mère, il y a longtemps. Je
             me suis creusé la tête et j'ai essayé de faire un retour en arrière dans mon
             passé, à la recherche de l'écho, l'écho de ma grand-mère, la vraie conteuse.
             Pour mon propre salut, la paix et l'harmonie, je dois creuser profondément
             dans mon cerveau pour entendre sa faible voix afin de me réhabiliter. J'ai
             pris conscience de mon passé. En fait, chaque énoncé, chaque histoire que
             j'essaie de raconter est celle de ma grand-mère. Parfois, j'ai l'impression
             d'être une fraudeuse, une voleuse d'histoires, une fausse messagère des his-
             toires des femmes de ma vie, comme ma mère, mes sœurs, qui n'ont jamais
             eu l'occasion de raconter leurs histoires. Parfois, je me fais passer pour un
             médium afin de répercuter les histoires des femmes de ma vie. J'émerge au
             milieu du renversement des femmes en tant que conteuses dans ma ville,
             en tant qu'agent du néo-colonialisme. Au cours de mes années d'expérience
             en tant que cinéaste, après avoir vu tant d'œuvres de mes collègues, des ci-
             néastes masculins, je pense parfois qu'une grande partie de nos histoires
             sont appropriées par les femmes. Bien sûr, certaines s'en servent pour se re-
             pentir, et d'autres pour découvrir, explorer et se trouver. Cependant, quel
             que soit le type de rationalisation, une chose reste claire! C’est que nos his-
             toires cinématographiques restent à moitié et incomplètes dans les films.
             Tant que les femmes, en nombre égal et équitable, ne participeront pas aux
             efforts cinématographiques,  nous ne  pourrons pas  continuer  à  déclarer
             l'existence d'un cinéma africain.

                     En fin de compte, pour avoir un monde équilibré et démocratique,
             l'autre moitié doit parler pour elle-même. Tant que les femmes seront ex-
             clues de ce moyen d'expression le plus puissant, tout ce qui sera exprimé
             sera à moitié vrai et de travers. S'il y a une chose que nous pouvons appren-
             dre des cent ans de cinéma occidental, c'est l'exclusion des femmes. C'est
             le renversement du rôle des femmes en tant que conteuses d'histoires. Pour
             tout ce qui est mauvais, pour tout ce qui est déficient dans la société occi-
   198   199   200   201   202   203   204   205   206   207   208