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historiques et prenais un bâton qui me légitimerait en tant que conteur, une
responsabilité à hériter de ma grand-mère. Je me suis refusé la transaction
historique logique.
Pour faire court, finalement je suis devenu cinéaste, après des an-
nées de transformation et d'auto-examen, à la recherche de mon identité et
de mon âme perdue, j'ai commencé à raconter des histoires. Des histoires
qui, au mieux, pouvaient dire « ne soyez pas comme moi, apprenez de mes
erreurs ». Et c'est pourquoi je suis obsédé par mon histoire volée. Afin d'ap-
préhender l'œil et l'oreille perdus, je devais au moins voyager mentalement
jusqu'à la cheminée où j'avais laissé ma grand-mère, il y a longtemps. Je
me suis creusé la tête et j'ai essayé de faire un retour en arrière dans mon
passé, à la recherche de l'écho, l'écho de ma grand-mère, la vraie conteuse.
Pour mon propre salut, la paix et l'harmonie, je dois creuser profondément
dans mon cerveau pour entendre sa faible voix afin de me réhabiliter. J'ai
pris conscience de mon passé. En fait, chaque énoncé, chaque histoire que
j'essaie de raconter est celle de ma grand-mère. Parfois, j'ai l'impression
d'être une fraudeuse, une voleuse d'histoires, une fausse messagère des his-
toires des femmes de ma vie, comme ma mère, mes sœurs, qui n'ont jamais
eu l'occasion de raconter leurs histoires. Parfois, je me fais passer pour un
médium afin de répercuter les histoires des femmes de ma vie. J'émerge au
milieu du renversement des femmes en tant que conteuses dans ma ville,
en tant qu'agent du néo-colonialisme. Au cours de mes années d'expérience
en tant que cinéaste, après avoir vu tant d'œuvres de mes collègues, des ci-
néastes masculins, je pense parfois qu'une grande partie de nos histoires
sont appropriées par les femmes. Bien sûr, certaines s'en servent pour se re-
pentir, et d'autres pour découvrir, explorer et se trouver. Cependant, quel
que soit le type de rationalisation, une chose reste claire! C’est que nos his-
toires cinématographiques restent à moitié et incomplètes dans les films.
Tant que les femmes, en nombre égal et équitable, ne participeront pas aux
efforts cinématographiques, nous ne pourrons pas continuer à déclarer
l'existence d'un cinéma africain.
En fin de compte, pour avoir un monde équilibré et démocratique,
l'autre moitié doit parler pour elle-même. Tant que les femmes seront ex-
clues de ce moyen d'expression le plus puissant, tout ce qui sera exprimé
sera à moitié vrai et de travers. S'il y a une chose que nous pouvons appren-
dre des cent ans de cinéma occidental, c'est l'exclusion des femmes. C'est
le renversement du rôle des femmes en tant que conteuses d'histoires. Pour
tout ce qui est mauvais, pour tout ce qui est déficient dans la société occi-