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Haile Gerima / Où sont les femmes cinéastes africaines ? 189
apparu en Afrique, il a dévasté et éliminé tous les autres médias institutionnels
de narration et s'est imposé comme le seul transmetteur d'histoires et de va-
leurs. La nature du cinéma, avec son rayonnement magique qui rétrécit et
allonge le temps et l'espace, ajoutée à la salle obscure remplie des yeux cli-
gnés et subjugués, rendant le public vulnérable à son contrôle écrasant. Cela
place à son tour le conteur du film dans une position de dictateur, un dicta-
teur qui, en fin de compte, aide le néocolonialisme à réussir à coloniser des
masses. Il s'agit d'une nouvelle arme de communication coloniale qui assu-
jettit efficacement les gens culturellement et politiquement dans la plupart
des régions d'Afrique.
Chaque fois qu'une personne locale est recrutée pour être un
conteur de film, la mission est automatiquement confiée à un membre mas-
culin de la société coloniale alors que, dans la même situation, les femmes
sont considérées comme les seuls objets de ses valeurs d'exploitation dé-
formées. En utilisant les femmes comme des objets sexuels exotiques, des
portes vers le mal plutôt que le bien, ces films transmettent fondamentale-
ment les systèmes de valeurs féodaux et néo-coloniaux. La profession ou
l'occupation même du cinéma devient alors une institution masculine qui
met en branle une tradition standard et stéréotypée de domination masculine
dans la réalisation des films. Les soi-disant cinéastes africains sont donc à
moitié féodaux et à moitié néocoloniaux dans leurs perspectives et leur vi-
sion.
Les hommes ont toujours été des cibles faciles pour devenir des
agents d'intérêts étrangers, même pendant le colonialisme primitif. L'avè-
nement du cinéma a effectivement nourri ce rôle. Le cinéma néocolonial
apporte avec lui ses propres préjugés traditionnels contre les femmes. Il im-
pose également ces valeurs comme des normes pour tous ses agents locaux.
Que ce soit dans les salles de cinéma où les films sont projetés, dans les
médiocres écoles nationales de cinéma ou dans les bourses d'études de l'au-
tre côté de l'océan, la tradition même du cinéma cultive effectivement des
valeurs démentes quant aux rôles et aux images des femmes dans le cinéma.
La représentation et l'image de la femme dans le cinéma africain
est, dans l'ensemble, une représentation déformée. Néanmoins, elle présente
trois tendances différentes : La première est une école de pensée selon la-
quelle l'idée même du film, étant commerciale, utilise comme ingrédient
principal, les femmes représentées comme des objets sexuels. Ce faisant, il
dévaste davantage l'image et le rôle des femmes dans la société en général.
Dans la plupart des cas, aux yeux de ce type de cinéaste, les personnages