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Sada Niang / La FEPACI et son héritage 199
Les élites qui ont émergé sous le colonialisme à presque tous les points clés de
l'interaction entre les sociétés traditionnelles et l'Occident sont historiquement
uniques en termes d'occidentalisation. Elles ne doivent leur pouvoir ni à une ri-
chesse initiale, ni à une participation directe à la production ou même à la pro-
priété des moyens de production… Ces élites sont également la strate par
laquelle « les traditions idéologiques, morales et philosophiques de la civilisa-
tion occidentale ont été transférées, au moins superficiellement, aux sociétés
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non occidentales ».
Le vaste mouvement de protestation qui a galvanisé la plupart des
cinéastes du continent a débuté dans les années 1950. Dans son ouvrage
Postcolonial African Cinema, Ken Harrow saisit parfaitement l'ambiance
et la série d'événements qui ont encadré cette période:
La période était celle de la fin des années 50 et du début des années 60, celle
de la lutte pour la fin du colonialisme et pour l'indépendance. C'était une époque
qui définissait ses valeurs autour des œuvres de Fanon, Memi, et Cabral; au-
tour de la guerre d'Algérie, ce qui expliquait la grande importance accordée à
la Bataille d'Alger (1965) en tant que pièce maîtresse du cinéma révolutionnaire,
autour des analyses marxistes de la lutte des classes et de l'impérialisme; autour
de la solidarité de la lutte des noirs. C'est une période qui a jeté les bases de la
bataille contre le néocolonialisme, qui a vu l'arrivée d'une nouvelle direction
compromise, qui a introduit l'État à parti unique, la corruption et le règne par
la force, trahissant ainsi la lutte. Après l'accession de Senghor à la présidence
du Sénégal, d'autres dirigeants africains ont épousé la rhétorique de la négritude,
de l'indépendance ou de l'authenticité des noirs. Le projet des cinéastes était
d'exposer les échecs de leur autoritarisme abusif. Le sentiment général de
l'époque était que nous ne pouvions pas nous permettre de nous livrer à des ex-
plorations sentimentales et subjectives des sensibilités individuelles et des re-
lations personnelles, comme dans le cinéma européen de la nouvelle vague,
alors que des questions plus vastes, d'une importance vitale pour la communauté
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africaine, étaient en jeu .
Le tableau à grands traits par Harrow est complété par Roy Armes
qui identifie le « renversement en 1959 du dictateur corrompu Batista par
les guérilleros de Fidel Castro », qui a débouché sur la révolution cubaine,
comme l'un des principaux facteurs ayant stimulé les élites des années 1960,
y compris les cinéastes . Lors du premier festival des arts nègres qui s'est
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tenu à Dakar en 1966, suite fructueuse de la rencontre des écrivains nègres
à Rome en 1958, l'engouement des populations africaines pour la musique
cubaine a été renforcé par les prestations de poètes cubains comme Nicolás
Guillén diffusées dans tout le pays . Je soutiens que de tous les change-
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ments qui ont inspiré les cinéastes africains de la première génération sur
le continent africain, les deux plus décisifs pour le groupe ont été la révo-