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Sada Niang / La FEPACI et son héritage                       201

          images susceptibles d'éveiller, d'inspirer et d'inciter les spectateurs à agir
          en faveur du changement politique. Pour Rocha, neutralité et cinéma ne pou-
          vaient coexister. Tout comme la musique populaire et la littérature, cet art
          relativement nouveau devait descendre dans la rue, mettre en scène des
          situations simples mais éloquentes et professer une confiance illimitée dans
          « les choses, les faits et les gens  ». Deus e o diabo na terra do sol et Terra
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          em transe mettent tous deux en scène des personnages accablés par les
          tâches quotidiennes de la survie et liant leur pauvreté au confort de la bour-
          geoisie au pouvoir. La même année (1967), un médecin et cinéaste chilien
          organise la première rencontre de cinéastes latino-américains à Viña del
          Mar (Chili). L'objectif était de rompre l'isolement des cinéastes de différents
         pays, mais la réunion a également été l'occasion de discuter de la production
         et des écrits de Rocha. En 1968, alors que les étudiants et les travailleurs
         se rebellent dans tout le monde occidental, les cinéastes latino-américains
         se réunissent à nouveau à Mérida (Venezuela) et, portés par les chiffres et
         le succès de la révolution cubaine, ils décident de créer des films qui lèvent
         « le tissu de mensonges et de confusion qui naît de la dépendance ». En
         1969, Solanas et Getino publient le manifeste du troisième cinéma qui dé-
         finit non seulement le troisième cinéma, mais aussi l'appareil critique qui
         doit l'accompagner. Ce document et les films qui ont ensuite articulé ses
         propositions ont encadré les débats qui ont conduit à la formation de la FE-
         PACI et à l'adoption de plusieurs de ses manifestes. Ainsi, de toutes les in-
         fluences extérieures possibles qui ont stimulé la renaissance du cinéma sur
          le continent africain, aucune n'a été aussi prédominante que l'Amérique la-
         tine. Elle a fourni le langage théorique, le discours politique, le cadre es-
         thétique et un modèle de distribution possible. Une telle influence a ouvert
         la voie à l'organisation contre la prolifération des films de série B dans les
         villes, la popularité croissante de cinéastes « dissidents » tels qu'Alphonse
         Béni  et  l'état désastreux des possibilités de  distribution.  Mariano
         Mestman, un historien du cinéma argentin, a été le premier à mettre en
         évidence ce lien.

                 Vers la fin des années 60, on assiste à la consolidation progressive
         d'un projet politique cinématographique dont les grands principes sont très
         proches du « Troisième Cinéma » proposé par Solanas et Getino ou du « ci-
         néma imparfait » de García Espinosa, mais qui comprend également des
         revendications d'autres manifestes asiatiques ou africains, c'est-à-dire une
         identité esthético-politique, construite autour d'une opposition au modèle
         hollywoodien dominant plutôt qu'une prescription esthétique distincte, qui
         n'englobait pas tous les films réalisés dans le Tiers Monde, mais seulement
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