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Sada Niang / La FEPACI et son héritage                       203

          de sa carrière (années 1950), il a fondé l'Institut du Cinéma de l'Université
          Nationale du Litoral en Argentine, la première école de cinéma d'Amérique
          latine. Avec ses étudiants, il produit le premier d'une longue série de docu-
          mentaires influents, Tire dié (1960), qui montre le rituel quotidien des en-
          fants « qui courent sur le tréteau du chemin de fer pour mendier des pièces
          aux passagers des trains qui passent  ». Pour lui, le cinéma n'est pas « sy-
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         nonyme de divertissement ou de spectacle  » mais un outil pour enquêter
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          et exposer les causes de l'injustice sociale, de la pauvreté, et dénoncer les
          excès des valeurs bourgeoises. C'était, avant tout, « l'outil de communication
          le plus précieux de notre époque ». Au fur et à mesure que sa carrière com-
         binée de cinéaste et d'éducateur progressait, son engagement dans la poli-
         tique  locale se développait. En 1961, alors  que le gouvernement
         démocratique du président Frondizi est chassé du pouvoir par un coup
         d'État militaire, Birri s'exile politiquement et voyage beaucoup en Amé-
         rique latine. Selon toute vraisemblance, il vivait à Rome en décembre 1973.
         Les quelques années qui ont précédé son arrivée en Algérie, il avait vécu à
         Cuba. Tire dié (1960) de Birri, réalisé trois ans avant Borom sarret de sem-
         bène, lui vaut le statut de pionnier du nouveau cinéma latino-américain.
         Fort de sa formation néoréaliste, Birri a opté pour une narration « dépouil-
         lée de tout sauf des éléments les plus élémentaires  », profondément en-
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         gagée dans les questions brûlantes des « barrios » et faisant appel à des
         acteurs non professionnels pour des scènes plus proches des expériences
         humaines quotidiennes. Sa qualité documentaire est indéniable. Pour les
          critiques de cinéma, Tire dié est connu comme le premier film socialement
         engagé d'envergure internationale du nouveau cinéma latino-américain.

                 Il n'est guère surprenant que le film de Birri ait présenté un aspect
         documentaire important. Sa formation au Centro Sperimentale di Cinema-
         tografia de Roma encourageait les étudiants à « tout tourner sur place [afin]
         d'exprimer la vie de la manière la plus convaincante et avec la dureté des
         documentaires ».
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                 Tire dié a brisé la « prison d'images » laissée par des siècles de do-
         mination coloniale en créant des images reflétant les « conditions objectives
         des pauvres urbains et ruraux », dans la tradition du néoréalisme italien.
         Birri a cherché à « effacer la frontière entre l'artiste et le public » et a cher-
         ché des moyens de « dissoudre l'esthétique dans la vie de la société ».
         Contemporain d'Ousmane Sembène, son objectif était de réinventer l'his-
         toire des pauvres d'Amérique latine en osant « s'approprier la création et
         le façonnage de leurs images ». Ses personnages parlent leur propre langue,
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