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volées, arrachées et plagiées des nombreuses femmes sans visage que nous
avons rencontrées au cours de notre vie. Nous avons certainement été nour-
ries par les véritables conteurs de l'Afrique, nos grands-mères, ainsi que
nos grands-pères. Dans l'Afrique traditionnelle, ma grand-mère avait le pou-
voir de nourrir et de modeler mes opinions. Ceux d'entre nous qui ont grandi
dans la période la plus intéressante où le mode de communication tradition-
nel a été remplacé par le mode industriel, qui a converti les histoires et les
a intégrées dans des produits manufacturés néocoloniaux afin de normaliser
et de maintenir la domination culturelle et économique du continent afri-
cain. Nous avons assisté au renversement d'une tradition qui existait depuis
des générations, transmettant l'histoire et les valeurs sociales d'un peuple,
nos vrais conteurs sont nos grands-pères et nos grands-mères.
Lorsque je regarde les films de Safi Faye, et que je contemple
leurs histoires sous l'angle de vue qu'elles prennent, cela témoigne claire-
ment du silence de beaucoup d'autres femmes qui passeront ce temps sans
partager leur histoire. Leur tempérament, leur mélodie, leur expérience qu'il
serait si crucial pour nous de partager seront inexistants. Tant que nos sœurs
ne s'exprimeront pas en nombre égal dans le cinéma, nous ne pourrons pas
dire ou parler de l'existence du cinéma africain en général.
Vraiment, homme ou femme, une chose est certaine: être un ci-
néaste en Afrique est oppressant. Les éléments de base ne sont pas en place.
Nous sommes tous des nomades. Nous devons parcourir toute l'Europe et
l'Amérique en mendiant de l'argent. Quelles que soient ces conditions, ce
sont des héritages historiques. Néanmoins, les femmes doivent faire partie
intégrante de cette expérience amère et, par le biais d'organisations, d'asso-
ciations et de festivals, nous pouvons nous confronter les unes aux autres
sur la question de l'absence de réalisatrices africaines. Chaque fois que l'un
d'entre nous a la chance de gagner à la loterie qui lui permet de réaliser un
film, nous devons créer les conditions permettant aux femmes de participer
pleinement à nos modestes productions. Nous avons la responsabilité de
démystifier le cinéma pour les personnes à qui l'on refuse les possibilités
mêmes d'expression cinématographique. La participation des femmes au
cinéma permettra également de développer, de transformer et de mettre au
défi tous les cinéastes pour une expression de qualité et responsable par le
biais de ce média. Nous pouvons parler d'un cinéma africain sérieux et pro-
gressiste.
Nous devrions faire pression sur les gouvernements et les
agences cinématographiques pour qu'ils recrutent et emploient des femmes