Page 240 - Livre2_NC
P. 240

231                      FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2

             (Le Dur à cuire) en 1968, un film autobiographique sur le tragique retour d’un
             ancien d’Indochine, tandis que Mustapha Alassane venait de réaliser en
             1967 Le Retour de l’aventurier, une superbe parodie de l’influence des wes-
             terns sur les jeunes. Mais le premier à tourner sur le sol africain aura été le
             docker Sembène Ousmane qui, avec Borom Sarret en 1963, inaugure sur
             le mode d’un miroir néoréaliste un programme pour le cinéma : la quête de
             soi qu’incarne ce charretier dakarois se heurte aux pouvoirs des élites qui
             copient l’occident.

                Comme dans  la littérature,  l’affirmation  d’une singularité culturelle
             prend peu à peu le dessus sur le sujet victimisé. Le nationalisme anticolonial
             trouve son prolongement dans les idéologies du progressisme et du radica-
             lisme, ces cinématographies naissantes prenant leur envol dans le contexte
             de la lutte contre l’impérialisme occidental. Nationalisme anticolonial, re-
             lectures du marxisme et volonté panafricaniste seront les trois paradigmes
             qui vont longtemps structurer le discours intellectuel et politique africain.
             De la même façon que Chinua Achebe présentait l’auteur comme un ins-
             tituteur, les cinémas d’Afrique devaient être engagés et la critique itou. Un
             cinéma militant s’oppose ainsi, sous la houlette de Sembène, aux rares vel-
             léités de cinéma commercial. Comme le souligne Ken Harrow, la structure
             du récit des films de Sembène élimine tout ce qui n’irait pas dans le sens
             du réalisateur : après l’exposition du problème, le protagoniste principal est
             soumis à des oppositions ; la solution trouvée n’est pas la bonne avant
             qu’une solution plus juste n’apporte le message du film .
                                                              3
                Dans le cadre de la reconstruction des repères, il s’agit d’inciter les ci-
             toyens à prendre en mains leur destin collectif. Ce cinéma se revendique
             d’inspiration brechtienne, c’est-à-dire alliant créativité et engagement ci-
             vique tout en opérant un lien avec les sciences sociales (Sembène partici-
             pera ainsi au cours de sa carrière, à de nombreux colloques universitaires
             sur ses œuvres). Si le réalisme répond au souci de redéfinition de soi, un de
             ses dogmes est aussi de croire que l’art peut transformer la société, qui res-
             tera l’idée dominante des années 70.

             2. Années 70 : un miroir social

                   « Notre noblesse nouvelle est non de dominer notre peuple, mais d’être son
                rythme et son cœur / Non de paître les terres, mais comme le grain de millet de
                                       pourrir dans la terre/ Non d’être la tête du peuple,
                                                mais bien sa bouche et sa trompette ».
                                      - Léopold sédar senghor, Hosties noires (1948)
   235   236   237   238   239   240   241   242   243   244   245