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Olivier Barlet / Les six décennies des cinémas d’Afrique     232


            En écho aux Rencontres cinématographiques de Carthage créées par
          Tahar Cheriaa en 1966, une semaine du cinéma africain se tient à Ouaga-
         dougou en 1969. La politique favorable au cinéma du gouvernement vol-
         taïque  amène les cinéastes  regroupés  depuis  1970 dans la  Fédération
         panafricaine des cinéastes (Fepaci) à fixer dans sa capitale ce qui deviendra
          à partir de 1972 le Fespaco, Festival panafricain du cinéma de Ouagadou-
          gou. Sous l’impulsion du bouillonnant Sénégalais Ababacar Samb Ma-
          kharam, le discours de la Fepaci est à la fois militant et panafricaniste. Le
          cinéma doit être un outil de libération des pays colonisés et un pas vers
          l’unité complète de l’Afrique. Mais lorsque Samb réalise le magnifique
          Kodou en 1971, c’est tout le contraire d’un slogan. Rejetée par la commu-
          nauté villageoise pour n’avoir pas supporté la douleur lors du tatouage ini-
          tiatique des lèvres, Kodou passera par l’hôpital psychiatrique des blancs
          avant qu’une séance d’exorcisme traditionnel ne la réintègre dans le groupe.
         « Le sens de mon film, dira Samb, c’est qu’il nous faut, nous les africains,
         dépasser notre culture en nous appuyant sur elle » (2189).

            De même, lorsqu’en 1981 dans Jom ou l’histoire d’un peuple, Samb
         relie la dénonciation de l’oppression aux valeurs culturelles africaines, c’est
         pour insister sur le jom africain, c’est-à-dire l’honneur, la dignité, le cou-
         rage, le respect. Ainsi, alors même qu’en 1975, la Fepaci se réunit à Alger
         et refuse toute forme de cinéma commercial pour s’unir aux cinéastes pro-
         gressistes des autres pays contre le néocolonialisme et l’impérialisme, les
         films proposent avant tout de se retrouver soi-même. Les doux panora-
         miques de la Sénégalaise Safi Faye sur la brousse africaine dans Lettre pay-
         sanne en 1975 ou Fad’jal en 1979 se terminent sur le travail des hommes :
         l’Afrique n’est plus un décor, elle est le lieu de l’activité humaine.
            Le danger serait de se réfugier dans une identité figée, une authenticité
         barrière. Mais ces accents de Négritude ne débouchent pas sur une coupure
         du monde. Formé comme Sembène au VGIK de Moscou, le Malien Sou-
         leymane Cissé s’attache dans Baara en 1979 à un jeune ingénieur qui tente
         d’améliorer le fonctionnement de son usine mais qui sera finalement mas-
         sacré. Ce n’est pas la subjectivité du personnage qui l’intéresse mais com-
         ment il  interroge la collusion  entre l’économique et  le politique.
         L’engagement social prime sur le sentimental : c’est le monde le centre de
         gravité.


            Même tendance dans les cinémas du Maghreb où les personnages sont
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